VENTS SAUVAGES

 

VENTS SAUVAGES

 

- Écoute! Tu entends? C'est sans doute Diêu Nuong.

On l'avait fusillée. C'était il y a des mois, ou des années, nul ne savait en fait depuis quand. Pourtant, avant qu'une nouvelle journée ne vienne au monde, les gens du village de Diêm, à moitié endormis, se disaient vaguement:

- C'est elle.

Comme si l'on pouvait écouter le passé, entendre l'écho du temps.

    Je vagabonde à travers la vie, ignorant mes origines

    Je suis le rivage qui attend le passage de tes pas...

L'aube était calme. L'Étoile de Vénus, énorme en cette région montagneuse, rayonnait dans un ciel sans nuage, qui doucement s'éclaircissait. A cette heure, le soleil ne s'est pas encore levé. Mais sur la plaine her­beuse l'ombre et le brouillard se séparaient, s'évanouissaient. Le village émergeait, incertain, de la nuit.

Un tronçon de la N14. Quelques bosquets de toits en tôle. Une église. Des cris stridents de coqs, des grince­ments de poulies au-dessus des puits. Le village de Diêm se réveillait, triste, hébété, perdu dans le silence im­mense des forêts.

A cette heure, de l'autre côté de la plaine, les canons de 105 mm de la base d'artillerie fantoche dormaient d'un sommeil profond, et l'avion de reconnaissance L19 qui sur­veillait le village n'apparaissait pas encore à l'horizon. En bas, à la lisière du village, le dernier camion de ravitaille­ment clandestin traversait la rivière A Rang. Les vagues concentriques se propageaient, s'effaçaient, l'eau redevenait immobile, vide, l'eau des riviè­res à la saison sèche.

A cette heure, autrefois, les cloches de l'église appe­laient les fidèles aux mâtines. Mais les obus, depuis longtemps dé­jà, avaient abattu le clocher, et les cloches s'étaient tues. La cour de l'église était déchiquetée de cratères de bom­bes, d'obus. Personne n'avait pensé à les combler. Le matin, sur la terrasse en pierre, sous les auvents, le pasteur1 dans sa soutane som­bre attendait seul le lever du soleil et l'ombre de ses ouailles.

La nuit, sur ce tronçon de la N14, face à l'église, les convois d'artillerie, les soldats traversaient le village. Maintenant, tout avait disparu. Plus une ombre humaine ne surgissait dans l'aube.

Derrière la brume, dans les allées à travers champs, on entendait parfois un char à bœufs. De-ci delà des mai­sons couvertes d'un toit en tôle, silencieuses, encore humectées de brume, exhalaient de la fumée.

    "Je vagabonde à travers la vie, ignorant mes origi­nes"

La voix s'élevait, légère, quelque part de derrière le brouillard, s'envolait dans un dernier souffle de la nuit, quit­tait les berges de la rivière, s'éloignait de la plaine.

Du fond de sa mélancolie, le pasteur la sentit jaillir en lui comme une décharge électrique. Il frémit, il es­quissa un geste pour se signer, il laissa retomber sa main. Il ferma les yeux, il baissa la tête, et il soupi­ra.

Au loin, derrière les collines basses qui se découpaient sur la plaine à l'Ouest, un soleil mouillé, tendre, d'un rouge étincelant, se levait dans le silence. L'espace gris et trouble bascula soudain dans la transparence. Tout un arc de ciel vi­ra au bleu. Des flots de lumière jaillissaient, frissonnantes. Partout à travers la plaine, de gros­ses gouttes de rosée étin­celaient comme des diamants à la cime des herbes. Avec le jour naissant, le chant grandissait, se dilatait, à la fois grave, profond, aérien. Il semblait se libérer de lui-même, ne plus appartenir à personne. Il vibrait, sauvage, comme une bal­lade de la nature.

Dans le village, les enfants se mettaient à chanter avec Diêu Nuong. Les adultes écoutaient, atterrés.

De l'autre côté du village, dans le camp retranché des artilleurs, les hommes arrêtaient soudain leurs prépara­tifs pour les combats. Les guetteurs délaissaient le ciel, dirigeaient leurs jumelles vers le village.

    Oh lune, comme tu es misérable, ma bien-aimée est partie

    pour ne plus revenir

- Regarde, tu vois, c'est elle!

Un soldat a crié, pointant son doigt.

Le paysage se rapprochait à travers les jumelles. Derrière les bosquets qui masquaient la route bordant le vil­lage, l'ombre évanescente d'une femme se déplaçait en chantant. Dans l'aube, le rêve et la réalité se mélan­geaient, les sons et les images s'unissaient. Une silhouette svelte, une démarche souple, une longue chevelure coulant en cascade sur le dos. C'était peut-être une illusion née de la chanson, une sensation irréelle hantant une voix. Un fantôme. Une ombre lascive, séduisante, souple, vivante qui, brusque­ment, disparaissait dans le mystère.

Debout sur les tranchées du poste de télétransmission, le capitaine et le commissaire politique se passaient les ju­melles.

La légende de Diêu Nuong, une chanteuse fantoche de Saigon, retenue en zone libérée par les aléas de la guerre, nourrissait les conversations du bataillon d'artillerie. L'imagination de chacun l'enrichissait de maints détails merveilleux.

- Vagabonder ! "  le commissaire lâcha les jumelles en grimaçant. "Si on ne fait pas taire cette putain, elle fini­ra par avaler l'âme du bataillon. Ils finiront tous par la suivre tête baissée dans le vagabondage".

- Mais comment interdire aux gens de chanter? " dit le capitaine.

- En interdisant! C'est de la musique jaune2, antimili­tariste, des chants fantoches.

- C'est une chanson de Trinh Công Son.

- C'est pareil. Et puis pourquoi se met-elle à gémir exactement à cette heure tous les jours? C'est peut-être un signal. Ou bien elle veut séduire nos soldats, les attirer chez elle pour des coucheries, leur refiler des maladies, vider leurs capacités de lutte? C'est ça qu'elle cherche, non ?

- Mais comme elle chante bien! Une vraie voix de fée.

Sur l'autre rive, un groupe de fantassins traversait le gué herbeux. Des lueurs de métal scintillaient dans l'ombre. Le dernier s'arrêta, et regarda vers le village de Diêm.

Des volutes de vapeur s'élevaient de l'eau verte de la rivière A Rang. Un vent traversa la rivière, emportant le chant. Le soldat sentit en son corps le frisson de la voix. La mélodie frôlait son cœur. Clair, transparent, lumineux, comme délavé par l'air frais à l'aube, le chant s'amplifiait, frissonnait, s'imprégnait de tristesse, une tristesse profonde, infinie, comme venue des forêts. Des forêts libres, immenses, sans fin, qui se perdaient dans l'horizon, ignorant les frontières, les lignes de front, se moquant des champs de bataille, des bombes, des tueries.

- Quelle tristesse, ce chant perdu, cette douleur de la terre.

* * *

Malgré les rumeurs, malgré les broderies, la vie de Diêu Nuong reste un mystère. On sait seulement qu'elle s'est égarée dans cette région, aux abords de la rivière A Rang, l'été &, après l'offensive générale des Forces ar­mées de libération et la débâcle des troupes de Saigon. Avant, peu de gens savaient qui elle était, d'où elle venait, quel était son véritable nom. Ceux qui prétendaient le savoir donnaient des versions différentes. Diêu Nuong elle-même semblait ne se souvenir de rien. Elle semblait avoir tout oublié.

- On dit qu'elle n'avait plus un haillon sur le corps quand elle a dérivé jusqu'ici.

Moi-même je l'ai entendu dire. Mais en cet "été de flamme"3, elle n'était pas la seule à sombrer dans la misère, pensais-je. Comme la végétation, l'homme jeté dans le bra­sier de la guerre pouvait partir en cendre en un clin d'œil.

1972. Un été effrayant. La guerre tuait en abondance. Des cadavres partout, étalés sur les routes, entassés dans les champs, flottant sur les rivières. Des survivants hébétés, plus morts que vifs. Des horizons déchiquetés. La nature même agonisait. Le village changeait de visage.

En réalité, il n'y avait plus de village, mais des ruines. Autrefois, c'était un village bruyant, animé, moitié ville, moitié campagne. Les maisons se pressaient les unes contre les autres, riches, luxueuses. Situé à dix kilomètres à vol d'oiseau de la capitale provinciale, le village était sous la protection de l'armée américaine. Les hommes vivaient de leurs soldes de soldats, les femmes se livraient au commerce. Tous étaient croyants, pratiquants. Aujourd'hui, la richesse des temps américano-fantoches se décomposait, pourrissait dans les ruines, sous les herbes sauvages et les broussailles.

Aujourd'hui, le village était dans la mire des canons de la ville. Jour après jour, les avions se suivaient, pi­quaient, lâchaient leurs bombes sur le village, sur les berges de la rivière, dans les champs. Le pont en fer à travers la rivière A Rang avait succombé. Le génie avait construit un gué en pierre sous l'eau. Les bombardements s'intensifièrent. Le ciel et la terre basculaient.

Mi-1972, le 17e bataillon d'artillerie fut affecté à la défense d'A Rang. Trois compagnies s'incrustèrent sur les berges de la rivière. Adossées les unes aux autres, elles li­vraient bataille à l'aviation fantoche. La mienne était cantonnée au bord du village.

Un village mort. Des herbes sauvages, des broussailles épineuses, des amas inextricables de briques éclatées, de tuiles émiettées, de poutres brisées. De-ci delà, branlantes, des maisons, mi-cabanes mi-tranchées, s'élevaient au milieu des ruines. Les chiens fouillaient les décombres, exhibaient les restes écrasés, gluants de la vie d'un temps écroulé: des paquets de jupes, de chemises aux couleurs criardes, fripées, déchirées, des chapeaux, des objets en cuir, en plastique, des bouts de bois, de verre, des objets domestiques... et des ossements humains qu'ils se disputaient, qu'ils trimballaient, qu'ils se passaient entre eux comme dans un jeu de khang4.

Les habitants étaient rares, misérables. Beaucoup retournaient à l'état sauvage. Il y avait peu d'hommes. La majorité étaient des handicapés de guerre de l'armée fanto­che, qui ne recevaient plus de subventions. Des hommes, es­tropiés, aveugles, atrophiés. Pratiquement, seuls les femmes et les enfants mettaient le nez dehors. Des femmes de soldats, égarées loin de leurs maris, des veuves en guenilles, décharnées, éperdues, avec une ribambelle de gosses sque­lettiques, affamés, nus, le ventre ballant.

La plupart n'étaient pas originaires du village de Diêm. L'été 1972, ils avaient échoué là, avec le flot des réfugiés sur la N14, en provenance des villes, des villages, des camps militaires de la région5. Butant sur les chars de l'armée de libération, ils étaient restés bloqués dans le village. Ici, vers minuit, le massacre les avait surpris.

On raconte que cette nuit-là, entendant le bourdonne­ment d'un avion C130 dans le ciel, les réfugiés avaient allumé des milliers de torches. Une immense croix dessinée à la flamme avait jailli juste devant l'église. Dans la nuit, on criait, on hurlait, on appelait, on faisait signe aux pilotes. Peut-être prenait-on l'avion pour le bateau de Noé envoyé par Dieu. Personne n'entendit les premières salves, personne ne vit les éclairs fuser du bout des canons à l'horizon. Des heures du­rant, les gens agonisèrent sous la pluie dense des obus. Puis les avions, vague après vague, arrosèrent le charnier de bombes, jusqu'à l'aube. Parmi les rares survivants, il y avait Diêu Nuong.

Ce fut ainsi qu'ils devinrent des habitants du village de Diêm. Ce fut ainsi qu'ils furent soumis à la nouvelle vie. Anciennes personnalités, gens de familles, avec ou sans pro­fession, messieurs et mécréants, riches ou pauvres, tous plongèrent dans la misère, la faim, le dénuement. Tous de­vaient vivre à la sueur du front, se plier sur les sillons de manioc, labourer les rizières. Tous devaient se soumettre à la discipline du nouveau pouvoir. Les récalcitrants, les pro­testataires étaient réprimés sans pitié. Beaucoup furent fu­sillés, arrêtés.

Diêu Nuong elle-même fut emprisonnée par les gué­rilleros. On l'enferma trois jours dans un cachot souterrain pour avoir pris la liberté de chanter des chansons jaunes. Libérée, elle ne guérit pas de sa folie, elle continua à vivre en dehors de toute convenance, libre, hors de la communauté. A l'aube, au crépuscule, dans son délire elle continuait de chanter, de sa voix mystérieuse, infernale. On raconte même que la nuit les hommes rôdaient autour de sa hutte délabrée au bord de la rivière. Ils frappaient sur sa porte en bois, grattaient les parois en bambou. Ils appor­taient qui une ration d'aliments lyophilisés, qui du riz desséché, qui une boîte de conserve, un paquet de cigarette, un bout de tissu, du fil, une aiguille, un miroir, un peigne, des allumettes, du sel, de tout, en échange d'une seule chose. Bien sûr, cette rumeur méprisante ne reposait sur au­cune preuve, ce n'était que des suppositions. Néanmoins, sa réputation de folle et de pute ne cessait de se propager dans le secret des chuchotements. C'est sans doute pourquoi beaucoup de gens prétendaient qu'elle était autrefois ser­veuse de bar dans un camp américain; pire, on disait qu'elle était, d'origine, un cygne; bref, c'était une putain. Personne ne pouvait démêler le vrai du faux, car il y avait d'autres rumeurs totalement contraires, d'autres hypothèses sur l'origine de Diêu Nuong.

Ainsi, beaucoup de gens ont entendu dire qu'elle était chanteuse dans une troupe musicale de Saigon. La troupe avait accepté de se produire devant une unité des forces spéciales cantonnées à Tân Trân. La dernière représentation, malheureusement, devait commencer à l'heure H de "l'été de flamme". Les chars et les fantassins de l'armée de libéra­tion avaient envahi Tân Trân. Les lignes de défense s'étaient ef­fondrées. Le groupe musical se disloqua. Diêu Nuong suivit le flot des réfugiés jusqu'au village de Diêm où elle se retrouva bloquée. Dans la débandade à travers les champs en flammes, les atours de la vedette étaient devenus des haillons. La nuit, dans l'enfer du massacre, sous l'avalanche des obus et des bombes, Diêu Nuong fut ense­velie sous une montagne de cadavres devant la cour de l'église. Pendant plus d'une journée elle n'avait respiré que l'odeur des cadavres. Quand on l'avait retirée du tas, son corps baigné de sang ressemblait à un bloc de laque. On le dit, la terreur de cette nuit l'avait rendue folle, parfois secrète­ment, parfois par intermittence, errante, indécise, à moitié somnambule, parfois ouvertement, hurlant, gesticulant comme une possédée.

Depuis, bien que vivant en zone libérée, sa vie n'avait cessé de dégringoler. Ses bras étaient trop mous, sa peau trop mince, elle ne pouvait déboiser à coups de hache, elle ne pouvait remuer la terre à coups de pioche, elle ne pouvait s'endurcir, se forger, se rééduquer par le travail productif. Sa beauté même la rendait encore plus étrangère. Sa voix dorée n'était d'aucune utilité pour personne en ces temps cruels, impitoyables, où l'on vivait, mourait au jour le jour de la peine, de la faim.

Pourtant, jour après jour, à l'aube et au crépuscule, comme poussée par un instinct irrépressible, Diêu Nuong chantait. Sa voix merveilleuse, surprenante, comme un vent sauvage, frôlait la plaine dans le clair-obscur triste des jours. Elle racontait, torturante, la nostalgie du pays natal, le regret d'une vie vouée à l'art, le souvenir de la scène et des spectateurs, la beauté et la jeunesse perdues, tout ce qui l'avait abandonnée, quelque part au loin, de l'autre côté de la rive infranchissable de la guerre.

    "... mais hélas, nous, nous-mêmes,

    il fut un temps où nous avions, nous aussi,

    une terre natale et un amour"

Aujourd'hui encore, au village de Diêm, beaucoup de gens arrivent à fredonner la mélodie et les paroles de cette chanson si triste qu'un soir lointain Diêu Nuong a chantée pour la première fois. Ce soir-là, alors que le crépuscule tombait, un convoi de prisonniers traversait le village. Des centaines d'hommes en uniformes de léopards, ligotés deux à deux, se traînaient misérablement. Les convoyeurs poin­taient leurs baïonnettes, menaçants et froids, poussaient les prisonniers, les pressaient de franchir le village.

Des deux côtés de la route, derrière les portes basses, des visages furtifs, apeurés, anxieux, guettaient. Les villageois cherchaient à reconnaître leurs parents parmi les prisonniers. Personne n'osait s'aventurer aux abords de la route.

Soudain, derrière les arbres, au bout du village, une silhouette apparut. C'était Diêu Nuong. C'était l'heure du crépuscule, l'heure de ses apparitions.

Elle fendait le feuillage, suivait la file des prisonniers, les lèvres balbutiantes, le regard égaré. Les hommes aux dos courbés, traînant des pieds sur la route, ne la remarquèrent pas. Dans l'ombre chancelante du crépuscule, leurs visages étaient noirs comme la terre.

Tout à coup on entendit des sons étranges, comme quelqu'un qui sanglote doucement. De sa voix fluette, hési­tante, Diêu Nuong chantait une chanson que personne n'avait encore entendue en ce monde, une chanson d'abord incompréhensible. La voix chuchutait, la mélodie était som­bre, les paroles inaudibles.

Comme suffoquée, Diêu s'arrêta pour reprendre ha­leine, et se remit à chanter. Un homme dans la masse des prisonniers éleva soudain la voix. Un autre l'imita. Puis d'autres encore. La voix de Diêu Nuong semblait effleurer chaque lèvre d'un baiser. Le troupeau de prisonniers se transforma en choeur. Les voix de basse des hommes recou­vrirent le bruit des pas. Les convoyeurs n'essayèrent pas d'imposer le silence. Les baïonnettes s'abaissèrent vers le sol.

Les villageois envahirent les bords de la route. Ils re­gardaient, silencieux, pétrifiés, la procession disparaître dans la poussière de l'exil, un exil indéterminé dans l'immensité des forêts. Le chant de Diêu Nuong et des mal­heureux raisonnait à travers l'espace, envahissait la nuit:

    "... Dans cette guerre fratricide

    nous ne sommes que des vers, des fourmis

    mais hélas, nous, nous-mêmes,

    il fut un temps où nous avions, nous aussi,

    une terre natale et un amour..."

* * *

Maintenant Diêu Nuong est morte. Dans cette plaine, parmi les innombrables buttes de terre, laquelle est la tombe de Diêu Nuong? Qui pourra jamais le dire?

Et la tombe de celui qui mourut à ses côtés, où s'est-elle perdue dans cette terre, ces herbes?

La vie s'écoule, interminable. La vie n'a pas de mé­moire. Les feuilles tombent, les saisons passent. La poussière. La verdure. La saison des pluies. La saison sèche. Les années s'entassent sur les années.

L'aviation a finalement rasé l'église du village de Diêm. Les herbes folles ont submergé les murs écroulés, englouti les marches. La cour de l'église est devenue un ter­rain vague. A l'aube, le cri des corbeaux dans le sanctuaire dévasté rappelle le souvenir du pasteur. Il a abandonné le village, personne ne sait pour où...

Au bord du fleuve, des anciennes fortifications antiaé­riennes, il ne reste plus que des murailles nues, en forme de fer à cheval, ébréchées. De-ci delà, quelques cratères béants de bombes. Le temps a comblé les trous des bombes à billes, au phosphore, et les trous d'obus. Du petit sentier qui reliait autrefois l'unité d'artillerie au village, il ne reste qu'une légère trace blanche, floue, ondulant parmi les hau­tes herbes le long de la rivière. Sûrement, les soldats aujourd'hui éparpillés n'ont pas oublié ce sentier. En ce temps-là, deux fois par jour, le frère nourricier6 amenait sur son dos, dans des paniers en bambou, les repas pour les combattants. La nuit, surtout les nuits sans lune, par le même sentier, les soldats allaient clandestinement "gagner le coeur du peuple"7.

Ces mangeurs de brume8 clandestins plongeaient en silence vers la rivière, se tassaient dans les joncs, dès qu'apparaissaient l'ombre des cadres du bataillon ou les pa­trouilles de guérilleros. On entendait le cri de l'oiseau Quôc9 à l'entrée du village. La nuit mouillait les épaules. Impossible de résister.

En ces temps-là les contacts avec la population non-éclairée, à moitié fantoche des zones libérées étaient stricte­ment interdits en haut-lieu. Ceux qui n'avaient pas de mis­sions ne devaient pas s'aventurer dans le village. Cet ostracisme était ridicule. Mais les ordres étaient les ordres, militaires. Ceux qui étaient pris en flagrant délit pouvaient s'attendre aux pires séances d'autocritique, à la sanction du Parti, du Mouvement de la jeunesse, à tous les malheurs. Malgré tout, le soldat près du peuple, c'est comme le feu côtoyant la paille...

Nous n'étions pas comme des poissons dans l'eau, mais le temps aidant, les relations entre les soldats et les paillotes délabrées du village ont silencieusement imprimé sur l'herbe un sentier. Le jour, en dehors des ravitailleurs, personne n'osait s'y aventurer. Mais la nuit, c'était la voie de l'amour.

Sans doute aujourd'hui encore, dans chaque paillote on retrouverait bien des souvenirs, et dans le coeur des femmes bien des nostalgies pour les artilleurs d'autrefois. On raconte que de ces relations clandestines entre les soldats et le peu­ple sont nées bien des sympathies et même des amours, même si ce n'était que des amours brèves, précipitées, aussi­tôt nées aussitôt mortes, chaotiques, sans avenir, sans issue. C'était, malgré tout, de l'amour.

En ce temps-là, le désir suprême des soldats, c'était devenir aide-cuisinier sous les ordres de Cu. De tout le ba­taillon seul Cu résidait en permanence au village. Les deux aides-cuisiniers étaient remplacés tous les mois.

Je ne sais si aujourd'hui il reste des traces des deux cabanes à demi-enterrées, de la réserve et de la cuisine, à côté du jardin de l'église. Cu avait choisi ce carré de terre, à côté de la maison commune10, l'espérant relativement moins bombardé. Cela l'ennuyait d'avoir à partager le puits avec le pasteur, mais Cu aimait bien ce puits, il donnait l'eau la plus pure, la plus savoureuse du village. Quant au pasteur, c'était tout de même un homme, malgré tout ce qu'on en disait. Bien que jeune, il était sérieux, poli, généreux, accommo­dant, plus raisonnable que quiconque dans le village. Cu ne portait d'ailleurs pas les gens du village dans son coeur. Une bande de bons à rien. Ils vivaient au milieu des champs, disposaient d'immenses terrains, mais, venus de tous les horizons, ces paysans contraints n'avaient aucune envie de travailler la terre pour se nourrir. Peut-être étaient-ils trop habitués à vivre de l'assistance américaine, trop entraînés à attendre qu'on leur apportât le riz jusqu'à la bouche. Aussi vivaient-ils dans la nostalgie de l'âge d'or pourri où les hommes s'enrôlaient, où les femmes se prostituaient pour les américains et les fantoches. Ainsi pensait Cu. Sans doute étaient-ils tous de coeur avec l'ennemi et guettaient-ils secrè­tement l'occasion de le rejoindre, masquant leurs désirs d'une façade de patience et de résignation que Cu jugeait lâ­che.

Et surtout les femmes. Cu ne comprenait pas pourquoi tant de ses compagnons perdaient si facilement leur âme. Ils étaient cinquante dans la compagnie. Des années durant ils avaient vécu au fond des forêts. Il n'y avait jamais eu de problèmes. A peine étaient-ils dans la plaine, dès qu'appa­raissaient un ciel ouvert, une rivière, un village, des silhouettes évanescentes de femmes, les conflits éclataient. Et pourtant, elles n'étaient pas comme les femmes du Nord, sages, fidèles, courageuses, ingénieuses et responsables, ou comme les femmes trempées de traditions révolutionnaires des maquis. Tout le village, pensait Cu, pullulait de microbes femelles.

"Les microbes femelles propagent la blennorragie et la syphilis". C'était le moins qu'il pouvait en dire pour mettre en garde les aides-cuisiniers.

Cu n'acceptait pas n'importe qui dans son groupe. Il éliminait sans hésiter les jeunes dandys, les baratineurs, les roublards, tous ceux dont les menus talents risquaient de provoquer des aventures avec les femmes du village. Parfois il renvoyait des gars à la mine bonasse, candide, car du jour au lendemain ils se révélaient sournois.

"Quand tu es cuisinier, quand tu brasses tous les jours le riz et les légumes pour l'unité" disait Cu "il faut garder tes mains propres. Interdiction de les balader sur la saleté, la pourriture et, en particulier, interdiction absolue de les plonger dans des corps de femmes."

Les gens du village craignaient Cu. Personne n'osait s'approcher de son puits, de sa cuisine. Quand ils arrivaient à lier connaissance avec les aides-cuisiniers, et quand ils voulaient quémander ou échanger quelque chose, ils attendaient le moment où Cu emportait le ravitaillement vers le front.

Deux fois par jour, à l'aube et au crépuscule, laissant la maison sous la garde d'un de ses aides, Cu s'en allait avec l'autre porter le repas à la compagnie. Nich, un petit chien de chasse laotien, de pure race, vif, particulièrement sensible aux odeurs, ouvrait la voie. Ils parcouraient un court tronçon de la N14, bifurquaient vers le village, zigzaguaient au milieu des huttes aux murs en terre, aux toits en tôle. Ils avançaient, le corps légèrement tendu en avant, les mains sur les fesses, soutenant les paniers sur leurs dos. Les deux paniers, énormes fûts enveloppés de toile de jute, exhalaient la chaleur et le parfum du riz cuit, l'odeur de la nourriture des soldats.

Les chiens du village s'enfuyaient à la vue de Nich. Affamés, ils épiaient de derrière les décombres, sur les bords de la route. Ils regardaient, mais n'osaient pas aboyer. Seuls les enfants en guenille, alléchés par la chaude odeur du riz, s'accrochaient aux paniers.

- Oncle nourricier, oh! oncle nourricier" coassaient-ils d'une voix rauque.

- Sales petits fantoches, foutez le camp! " hurlait Cu.

Néanmoins, quand un gamin plus audacieux que les autres le suivait jusqu'au bout du village, Cu s'arrêtait et lui faisait signe de s'approcher. Il sortait alors de la sacoche en osier accrochée à sa ceinture un manioc grillé ou un épi de maïs cuit, parfois un poisson séché. Et il disait:

- Voilà. C'est tout ce qu'il y a. Il n'y a rien à bâfrer chez les bô dôi11. Plus de manioc que de riz. Des liserons au sel, au gingembre, c'est tout. La révolution vous libère, mais apprenez à affronter la misère. Apprenez à piocher, à labourer pour vous nourrir. Dites-le à vos mères. Elle est longue encore, la révolution. Notre génération y passera, et la vôtre aussi.

On raconte qu'aujourd'hui encore on peut voir Nich aller et venir sur ce sentier. Il va vers la rivière, renifle les douilles rouillées, verdâtres des cartouches de 35 mm, grimpe sur la tranchée remplie d'herbe folle, où logeaient les batteries antiaériennes, et regarde, mélancolique, la ri­vière couler.

- Oncle nourricier, oh! oncle nourricier!

Un des enfants d'autrefois, aujourd'hui adulte, conti­nue de lancer cet appel en voyant le chien solitaire errer mi­sérablement sur le sentier. Il lui semble revoir, derrière le chien, la silhouette de deux hommes portant deux gros pa­niers sur le dos.

Le chien semble ligoté au sentier. Toujours il y revient aux heures où le soleil est au plus bas à l'horizon, à l'aube et au crépuscule. Rien ne peut le distraire de cette trajectoire somnambulesque. Personne n'ose le toucher.

- C'est ce chien qui a tué Diêu Nuong.

Ceux qui étaient vaguement au courant l'affirmaient. Ceux qui ignoraient tout de la tragédie éprouvaient néanmoins une étrange frayeur vis-à-vis de ce chien, ils sen­taient confusément dans sa promenade douloureuse, ryth­mée, lancinante, un aveuglement, une folie spécifiquement humaine.

* * *

Le jour de la relève, les unités 3 et 4 déléguèrent chacune un aide-cuisinier pour remplacer Binh et Tuân des unités 1 et 2. Contrairement à la coutume, Cu n'échangea que Binh et garda Tuân. "Il est bien rodé maintenant. Il est travailleur et méticuleux, je le garderais volontiers avec moi en permanence", expliquait Cu.

D'origine Tuân était un fantassin. Grièvement blessé, il devait normalement être rapatrié au Nord. Mais cédant aux exhortations, il s'était porté volontaire pour rester sur les champs de bataille. On ne l'avait pas renvoyé dans son unité, on l'avait affecté au bataillon d'artillerie. Il avait re­joint ma compagnie depuis six mois, pour le poste de troisième artilleur dans l'unité 2.

Il était grand, maigre, décharné. Sa pomme d'Adam saillait. Une affreuse balafre, oeuvre d'un coup de fusil en plein visage, labourait sa face de la tempe jusqu'à la commissure des lèvres. De ce fait, sa bouche était tordue, et on lui collait le sobriquet de Tuân mêu, Tuân qui pleure. Bien qu'originaire de Ha Bac, il était taciturne, avait la pa­role étrangement rare, parlait à contre-coeur. Les artilleurs parlaient haut et fort, aimaient plaisanter, blaguer. Leurs bavardages crépitaient comme des grains de maïs sur la poêle. Tuân restait silencieux, ne disait mot, ne riait pas, ne se fâchait jamais. Complètement froid, indifférent. Un noble ou un blasé?

Il ignorait les avions qui piquaient sur nos positions, nous mitraillaient à bout portant. Les bombes pouvaient ex­ploser au loin, tout près, les roquettes pouvaient labourer nos fortifications, il s'en moquait. Cette froideur, cette in­différence vis-à-vis de tout collaient parfaitement avec la fonction de troisième artilleur. Dans le chaos des combats, le Numéro 3 modèle, c'est justement celui qui ne s'intéres­sait ni aux avions, ni aux bombes, ni au succès ou à l'échec de nos tirs. Il ne devait s'intéresser qu'à lui, calmement, il n'avait qu'un devoir, tourner tranquillement la manivelle pour régler l'angle de tir conformément aux instructions du pointeur.

Une fois Tuân m'avait dit, en guise de commentaire:

- Les combats d'artillerie sont décidément monotones. On a l'impression de taper à la machine à écrire. Cela n'a rien de théâtral, rien à voir avec les combats des fantassins.

- C'est que tu es toujours resté au numéro 3" lui ré­pondis-je "Si tu en a envie, je proposerai au chef de me ré­trograder à ton poste, tu prendras le mien au numéro 2, et tu joueras de la gâchette.

- Oh, c'est pour parler comme ça. Je me mets où l'on veut me mettre. Je ne demande rien, ne souhaite rien. C'est tout comme!

- Si tu en as assez de la guerre, pourquoi n'es-tu pas retourné au Nord, pourquoi es-tu resté?

Tuân haussa les épaules.

- Chagrin d'amour? Ou bien as-tu appris que ta femme couche avec les miliciens, c'est ça?

Tuân émit un "Ah", et se tut, la bouche tordue.

En fait, personne ne savait s'il était marié, s'il avait des enfants. Même le commissaire politique n'en savait pas plus que les quelques lignes inscrites sur son C.V. militaire. Il ne se confiait jamais, n'avait aucun besoin de révéler ses sentiments. Personne ne l'avait vu écrire ou lire une lettre. Dans les réunions, il restait coi. Au mieux il grommelait.

En dehors de cette discrétion éclatante, Tuân se signa­lait par son talent à la guitare. Il jouait bien, c'était sans doute le meilleur guitariste de la compagnie. Il ne jouait pas comme un soldat, ne marquait pas le rythme du pied, ne dandinait pas sa cuisse, ne balançait pas ses épaules; il ne sifflait pas, ne chantonnait pas en jouant. Il jouait distraite­ment, dans l'indifférence, ni pour les autres, ni pour lui-même.

- Qu'est-ce que tu joues là, Tuân? Quelle curieuse musique.

Tuân répondait par un "Ah" inaudible.

Tuân avait emporté sa guitare en rejoignant la cuisine. Une vieille guitare, un caisson écorché, prêt à se fendiller, des cordes de fortune, et pourtant un son très pur. On disait qu'il l'avait amenée avec lui en entrant dans l'armée, et l'on se demandait par quel miracle il avait pu la conserver intacte à travers cette vie de soldat.

Il arriva au village un matin. Le soir on le vit revenir avec Cu au front, un énorme panier de soupe au taro fumant sur le dos.

- C'est dur, Tuân?

- Oui.

- Et les femmes de Diem, comment les trouves-tu? Assez théâtrales à ton goût?

- Ah.

Il semblait indifférent. Il allait où on l'envoyait, sur les tranchées comme à la cuisine, il acceptait sans empressement, il ne refusait jamais. Il était silencieux, froid, il ne discutait pas, mais il travaillait de tout son coeur, ne rechignait pas à la peine, ne se plaignait de rien.

Au début, Cu n'aimait pas Tuân. Son caractère taci­turne l'agaçait. Il finit néanmoins par s'habituer. La discrétion n'est pas une faute. Et puis, ils étaient assaillis de travaux toute la journée, toujours à courir frénétiquement derrière quelque chose, à achever quelque boulot, ils n'avaient pas tellement le temps de causer.

Ce n'était que tard la nuit, après avoir nourri l'unité, que nos trois cuistots trouvaient un moment pour se laver, souffler, échanger quelques mots avant de s'effondrer dans leurs hamacs. Cu sortait alors une bouteille d'alcool, chacun vidait son verre en l'écoutant distribuer les tâches pour le lendemain. Quand il leur arrivait d'avoir une journée moins chargée, Cu et Binh jouaient aux cartes, Tuân décrochait sa guitare du mur, réglait lentement les cordes, et, doucement, jouait.

C'était au début du cinquième mois de notre calen­drier. La nuit, souvent, il pleuvait. La rivière A Rang, en crue, mugissait à travers les champs. Le tonnerre grondait au-dessus des nuages.

Binh sifflait doucement, accompagnant la musique. Cu laissa tomber les cartes, se tourna vers Tuân pour écouter la guitare. Il avait reconnu la mélodie si familière dans l'aube et le crépuscule, "Je vagabonde à travers la vie, ignorant mes origines..."

Dehors, la pluie, infinie, lancinante. L'atmosphère dans la cabane était humide. La lampe rayonnait d'un halo jaunâtre. La vie triste, mélancolique, des soldats. Comme de longs soupirs.

* * *

La cuisine faisait face à la maison du pasteur, par-delà un potager. On partageait le puits, on empruntait la même allée pour rentrer au village. La maison du prêtre était aussi à moitié enterrée. Quatre talus de terre l'encerclaient, lui donnaient l'air d'une caverne. La cellule était quasi vide. Un lit en bambou recouvert de paille, un oreiller en bois, une table, une étagère pour les livres et les images saintes. Suspendu devant la porte d'entrée, un panier. Le matin, les ouailles du village y déposaient la nourriture du pasteur. Le pasteur sortait deux à trois fois par jour de sa chambre. Apparemment, il ne s'était jamais aventuré au-delà du jar­din. Il vivait retiré dans sa piété comme un sage de jadis, loin du monde.

Soudain, il quitta l'église, quitta le village, et disparut. Etait-ce un hasard? Il disparut le jour même où Diêu Nuong fut tuée. La rumeur se propagea aussitôt. Evidemment, il n'y avait aucune preuve. Mais depuis, dans toutes les histoi­res, dans toutes les supputations sur la vie de Diêu Nuong apparaît l'ombre incertaine de sa sombre soutane.

Le pasteur lui-même avait été frappé par la malchance. Le malheur s'était abattu sur lui, inattendu, un peu comme sur Diêu Nuong. Le jour même où, sur l'ordre de ses supérieurs, il venait prendre possession de l'église du village de Diêm, les Vietcongs avait attaqué en force. Le car qui l'amenait au village n'était pas encore arrivé à la station que les détonations crépitaient le long de la rivière A Rang. Les canons de 130 mm bombardaient sans répit. Les tanks surgi­rent sur la N14 coupant la retraite. Les voyageurs se précipitaient hors du car, se bousculaient, s'enfuyaient. La foule des fidèles qui l'attendait pour la fête s'éparpilla, affo­lée.

On raconte qu'en cette nuit horrible, cette nuit où les Américains arrosaient les réfugiés de bombes, par hasard, le pasteur et Diêu Nuong s'étaient retrouvé allongés côte à côte. C'était lui qui l'avait retirée de dessous la montagne de cadavres. Elle n'était plus qu'un cadavre nu, barbouillé de sang. Il l'avait pourtant ranimée, il lui avait sauvé la vie. De ce jour, il la prit sous sa protection. Diêu Nuong vécut plu­sieurs mois dans l'église, aux côtés du pasteur, comme une soeur ou un parrain (bo), une marraine. Bien sûr, ce n'était pas très conforme à la morale, mais en ces temps de chaos aucun interdit n'était efficace, aucun règlement ne survivait sans compromis.

Plus tard, Diêu Nuong alla vivre dans la hutte au bord du village, mais elle revenait souvent en cachette à l'église pour voir le père. Pour faire sa confession sans doute, si elle était catholique, pour le ravitailler avec les ca­deaux que tous les jours on lui donnait en catimini, des cho­ses que les soldats soutiraient de leurs maigres rations, ou qu'ils avaient raflées comme butins de guerre. Diêu Nuong acceptait tous les cadeaux, couchait avec tout le monde, par­fois dans sa hutte, parfois au bord de la rivière, sur l'herbe, sous la lune pâle.

C'était une putain, depuis quand, elle ne s'en souve­nait plus, et personne non plus ne savait, ne s'en souvenait. Serait-il possible qu'elle le devint le jour de la libération, le jour où elle fut promue à une vie nouvelle?

Il se peut aussi qu'elle fût pourrie de nature. Ne di­sait-on pas qu'elle était d'origine, un cygne? Les hommes qui couchaient avec elle, plus tard, autour d'une bouteille, se plaisaient à comparer leur savoir, et disaient qu'elle était un nid de dévergondage.

Quant à moi, et sans doute je ne suis pas le seul, je n'ai jamais trouvé Diêu Nuong vicieuse. Auprès d'elle j'ai vécu des moments de bonheur comme je n'en ai jamais connu là-bas sur ma terre natale.

Bien des années ont passé. Je n'ai aucune envie de l'oublier et, en vérité, je suis incapable de l'oublier. Parfois, hébété, du fond de ma mémoire je vois surgir la silhouette de Diêu Nuong, je la vois marcher, solitaire, sur la route déserte, souple, gracieuse, ondulant de tout son corps, je la vois assise, mélancolique, silencieuse, au bord de la rivière, je la vois quand...

Quand mon coeur battait, affolé, quand, émergeant de la nuit j'écartais la natte qui lui servait de porte et entrais dans la nuit de sa chambre.

- Viens, mon soldat chéri. N'aie pas peur. Je suis seule.

J'avançais d'un pas. Je heurtais quelque chose de merveilleux, quelque chose de chaud, de doux, qui palpitait, quelque chose d'indicible. Immédiatement je sombrais dans un enfer de douceur.

- Mon amour, comment t'appelles-tu? Est-ce la pre­mière fois que tu viens à moi?

Le corps splendide de Diêu Nuong, que la dure vie des zones libérées n'avait pas encore eu le temps d'anéantir, avait quelque chose d'intensément femme, plus femme que toutes les autres femmes réunies. Non seulement par ses ca­resses, non seulement quand, brusquement, elle se déchaînait, se consumait de tendresse, quand elle gémissait, quand elle se démenait, quand elle haletait en silence, mais même quand elle s'était calmée, quand elle s'affalait, épui­sée, elle exhalait encore vague après vague l'attrait infernal du péché, de la femme.

- Tu t'en vas déjà? " Elle me retenait. "L'aube est en­core loin. Reste encore un moment. J'ai quelque chose à te confier. Une seule et unique chose..."

Mais peu de gens osaient rester, et encore moins écou­ter ce que Diêu Nuong voulait leur confier. Personne ne voulait l'entendre, car personne ne pouvait rien pour l'aider. C'était trop criminel, trop dangereux. Sans doute Diêu Nuong croyait-elle qu'en ce monde il restait encore des hommes assez fous pour risquer leur vie par amour, pour trahir par amour.

Naturellement, pour pouvoir revenir auprès d'elle, personne n'était assez sot pour la décevoir. Alors on promettait, on mentait. Et le vent emportait les paroles.

Nous étions tous semblables, aussi personne ne pouvait l'imaginer, il existait au moins un homme fidèle à sa parole. Il promit de l'aider. Il tint parole.

* * *

Après, quand tout fut fini, bien des gens racontèrent qu'en fait, quand il était chez les fantassins, Tuân avait eu maintes occasions de passer au village de Diêm, et qu'il connaissait Diêu Nuong depuis ce temps. Nous n'avions pas encore investi les bords de la rivière A Rang. En ce temps-là Diêu Nuong vivait chez le pasteur.

On dit que le village était alors frappé par la disette. Les maigres stocks offerts par les bô dôi au moment de la libération étaient épuisés. Le pouvoir appelait à développer la production. Même l'église devait subvenir par ses propres moyens à ses besoins.

Comme un pasteur ne travaille pas la terre, Diêu Nuong devait le faire pour deux. Elle suivit les femmes du village pour aller déboiser et planter le manioc. Mais elle n'était pas habituée à la peine, à la boue. Après chaque coup de hache, elle se prenait le visage entre les mains, et pleurnichait. En fin de journée, son champ était encore cou­vert d'arbres et de broussailles.

Il y avait là un groupe de soldats, ils se reposaient dans leurs hamacs au bord de la rivière. Ils la regardaient. Ils rigolaient, s'amusaient, se moquaient, méprisants, de cette espèce de femme fantoche frêle comme du papier, pa­resseuse, ne sachant que profiter des plaisirs de la vie, et qui apprenait pour la première fois, avec la vie nouvelle, ce que c'est que la sueur et les larmes d'une existence humaine. Mais peu à peu, ils se prirent de pitié pour les malheurs de la femme. Ils quittèrent leurs hamacs, vinrent la consoler, et proposèrent de l'aider.

Ce fut ainsi que toute la nuit, les bô dôi, le torse nu, abattirent les arbres pour la maison commune. Ils dégagèrent tout un coin de forêt. Ils vidèrent même leurs ballots, leurs boudins de riz, laissant en souvenir un plein panier de victuailles. En la quittant, un homme se présenta sous le nom de Tuân. Il promit de revenir dans quelques jours pour aider Diêu Nuong à faire le brûlis. Et il tint parole.

Le brûlis de Diêu Nuong était le plus parfait, le plus net du village. Un feu régulier avait tout consumé, ne laissant aucun tronc d'arbre à moitié calciné. En partant, Tuân promit encore de revenir semer le manioc.

Vinrent les premières pluies. Le manioc poussait vert et dru. En quelques jours les feuilles recouvrirent le brûlis d'un épais tapis de verdure. Autour, Tuân ensemença une haie de courges. Sur une langue de terre derrière l'église, il aida Diêu Nuong à planter des légumes.

Et ce fut ainsi que tous les cinq jours, tous les dix jours, sans qu'on sût comment il s'y prenait, Tuân quittait la ligne de front près de la ville, traversait les champs, et re­joignait le village de Diêm.

Ce fut aussi vers cette époque  que Diêu Nuong quitta l'église et s'installa dans la hutte que Tuân lui avait dressée au bord de la rivière. Apparemment, grâce à Tuân, Diêu Nuong avait perdu la mine désespérée des premiers jours de la libération. On voyait ses yeux briller et, parfois, on la voyait sourire.

Parfois, Tuân revenait avec sa guitare. Il jouait dou­cement, Diêu Nuong chantait dans un murmure. En ce temps-là, elle ne chantait qu'ainsi, entre eux.

Sans doute s'étaient-ils fait des serments. Sans doute Diêu Nuong lui avait-elle confié son rêve lancinant. Elle voulait quitter cette vie rude à gratter la terre en ce pays perdu, elle cherchait un homme de confiance qui l'aiderait à franchir la ligne de démarcation, qui la ramènerait vers la vie calme et douillette que fut la sienne avant qu'on ne la li­bérât.

Pour Tuân, traverser dix kilomètres truffés de champs de mines, sous la surveillance des postes de garde, n'avait rien d'impossible. De plus, c'étaient les premiers jours d'après les accords de paix, des jours où le ciel et la terre soudain se révélaient paisibles. C'était la saison sèche, et pourtant, pas le moindre hurlement d'avions, pas un coup de canon.

Ivre d'amour, transporté par l'espoir de la paix, Tuân avait promis. Sincèrement, sans doute. Seulement, tout à coup il disparut. Cinq jours passèrent, puis des mois entiers, on n'entendit plus parler de lui, on ne le revit plus dans le village de Diêm.

Silencieusement, imperceptiblement, Diêu Nuong sombra dans l'égarement, dans la déchéance. Elle ne parla jamais de Tuân. Son souvenir et sa promesse s'étaient sans doute dissous dans sa mémoire. Mais l'aspiration à la liberté survivait, intermittente. Le secret qu'elle avait confié à Tuân rejaillit dans son chant qui, depuis, s'élevait à l'aube et au crépuscule. Nuit après nuit, elle traquait les promesses oi­seuses, des promesses de jour en jour plus fallacieuses à me­sure que la guerre devenait de plus en plus brutale. Les bombes et les obus rasèrent impitoyablement le village, ba­layant tout indice de la paix.

Vint une nuit, une nuit pluvieuse, sur le sentier qui la menait chez le père, en coupant à travers le potager près de la cabane des soldats du ravitaillement, Diêu Nuong entendit vibrer une guitare. En silence elle s'approcha, et regarda à travers les buissons. La lampe à huile répandait une lumière blafarde. Diêu Nuong ne put distinguer les traits du guitariste. Mais la mélodie familière des nuits de jadis l'aida à le reconnaître.

Eperdue, inconsciente, Diêu Nuong marcha lentement vers la porte. Brusquement, Nich bondit d'un coin de la ca­bane, aboyant.

- Qui ? " Cu hurla, bondit hors du hamac, saisissant son fusil.

Diêu Nuong recula d'un pas, la guitare se tut brus­quement, elle s'enfuit.

Cu se précipita à la porte. La pluie tombait à verse.

- Un espion! " cria Cu. "Halte !"

La silhouette de Diêu Nuong apparut dans un éclair, éparse, chancelante.

- Ah! C'est toi, espèce de putain! Halte, ou je te des­cends!

Cu poussa un hurlement, se précipita dans la pluie, glissa, et tomba à plat ventre. Il se releva violemment et, furieux, balaya d'une rafale les bruits de pas.

Tuân bondit, saisit la mitraillette.

- Espèce d'imbécile! Sale serf!

Il hurlait, sa voix s'étranglait, il cognait comme un fou sur le visage de son chef. Il jeta la mitraillette dans la boue, se précipita dans la pluie noire, poursuivant Diêu Nuong. Le village résonnait des gongs d'alerte. De partout  les guérilleros accouraient.

Binh soutenait Cu, le ramenait dans la cabane.

- Quand les guérilleros arriveront, tu leur diras qu'il n'y a rien de grave" Cu marmonnait péniblement, essuyant son visage baigné de pluie et de sang avec la manche de sa chemise, arrachant une incisive brisée. "Dis leur que j'ai fait un cauchemar et que j'ai tiré sans raison... Puis va voir ce qu'ils sont devenus..."

Il soupira:

- Mais pourquoi s'est-elle enfuie?

Longtemps après, me racontant l'histoire, Binh mur­murait de regret:

- Si Diêu Nuong n'avait pas été blessée, ils se seraient enfuis cette nuit-là, peut-être s'en seraient-ils sortis.

Maintenant, quand j'y repense, de tous les acteurs de cette tragédie, Cu est le seul qui me semble radicalement in­compréhensible.

C'était lui qui avait tiré sur Diêu Nuong, en pleine connaissance de cause, et c'était encore lui qui, pendant une longue période, s'était dévoué pour la soigner. Le pasteur n'acceptait d'entrouvrir sa porte qu'à Cu pour les visites à Diêu Nuong. Il n'acceptait le coton, les pansements, les aliments que des mains de Cu. Il interdisait catégoriquement sa porte à Tuân.

Cu et Binh n'avaient pas desserré les dents, trahi le secret. A la compagnie, personne ne savait que Cu avait tiré sur Diêu Nuong. Personne ne connaissait la bagarre entre Cu et Tuân. On en savait encore moins sur les relations brûlantes et pourtant vagues entre Diêu Nuong et Tuân.

Lors de la relève, Cu demanda à la compagnie de lui laisser Tuân.

* * *

Un jour, brusquement, Diêu Nuong disparut. On n'en­tendit plus son chant. A la lisière du village, l'herbe envahissait la hutte déserte, vide, branlante. La rumeur di­sait qu'elle s'était enfuie. Ou qu'elle était morte. Noyée dans la rivière, ou pulvérisée de plein fouet par une bombe ou un obus.

La saison des pluies s'étirait, interminable, triste, poi­gnante. Peu à peu je comprenais pourquoi je me sentais si triste. Diêu Nuong me manquait, son chant me manquait, elle, une femme de rien. Je n'étais pas le seul, je le sentais, toute la compagnie se morfondait. Nous n'avions plus de raison de nous incruster dans ce coin de terre.

Soudain, un jour de soleil, à l'orée de la saison sèche, nous apprîmes que Dieu Nuong était toujours vivante. Elle s'était cachée dans l'église pendant la saison des pluies pour soigner ses blessures. Elle était maintenant en convales­cence... seulement, maintenant elle s'enfuyait pour de bon.

Ce fut le pasteur lui-même qui nous l'apprit. Il vint dans les tranchées à l'aube, la soutane gorgée de brume.

- Votre homme a séduit la fille. C'est le type à la bala­fre, à la mine renfrognée. Non seulement il vous a trahi, il a encore entraîné la fille à trahir Dieu.

Il nous dit encore qu'il avait prévenu Cu dès qu'il avait découvert la fuite de Tuân et de Diêu Nuong, c'est-à-dire dès la nuit d'avant. Cu n'avait pourtant pas alerté la compagnie.

Cu se leva. Tête nue, dents serrées, il écouta les re­montrances du commissaire politique.

- Laissez-les partir" dit Cu d'une voix sombre. "Mais si vous tenez à les rattraper, ce n'est pas trop tard. Elle est blessée, elle ne peut pas marcher vite. Et puis il y a Nich".

J'eus l'honneur de participer à l'opération, en compa­gnie de Cu et de deux éclaireurs. Nous partîmes aussitôt. Nich filait rapidement, ouvrant le chemin, tirant sur la corde que tenait Cu.

Nous le suivions en silence, nous déployant en lar­geur, le fusil à l'aguet. L'ordre était de ne pas les laisser s'échapper, à aucun prix, avec les secrets sur la prochaine campagne de l'unité.

Etrangement, les traces que suivait Nich ne nous en­traînaient pas en direction de la ville. Elles longeaient la ri­vière A Rang, remontaient vers l'Ouest de la plaine. De ce côté, il n'y avait que la forêt épaisse.

Peu à peu notre volonté s'affaiblissait. Nous avancions en traînant les pieds. La poussière s'envolait sous nos pas. Des heures passèrent. Nich suivait méticuleusement la trace invisible et zigzaguante.

Ce fut justement au moment où, découragés, nous commencions à envisager le retour que nous trouvâmes la marque des fuyards.

Sous l'ombrelle d'un Knia solitaire, au milieu d'un champ d'herbe dont la hauteur dépassait nos têtes, Tuân et Diêu Nuong s'étaient reposés. Une bande de fourmis traînait des miettes de riz. Un bout de cigarette, du tabac brut dans un bout de journal. Mais le plus clair des indices, c'était, profondément sculptée dans l'herbe, une forme allongée, une forme humaine. Un tableau en creux, une silhouette de femme, à n'en pas douter...

Nous les rattrapâmes alors que le soleil se cou­chait. C'était aux abords de la forêt clairsemée à l'ouest de la plaine.

Harassés, nous nous étions arrêtés face à un ruisseau. Nich avait perdu leurs traces dans l'eau. Nous nous assîmes pour nous reposer. Le silence pesait sur le crépuscule d'un rose intense.

Soudain, du silence et des murmures du ruisseau, frô­lant l'espace, jaillit, comme une vaguelette, un son mince, inattendu.

- La guitare" s'écria Cu.

Stupéfaits, dubitatifs, nous tendions l'oreille. Ce de­vait être une illusion. Nous retenions notre respiration. Et voilà qu'une voix se mit à chantonner.

Nous traversâmes rapidement le ruisseau, nous nous approchâmes furtivement de l'endroit d'où s'élevait le chant. C'était une forêt de pins. Les arbres, clairsemés, s'élançaient haut vers le ciel. Un filet de fumée s'évaporait dans le soir. Nous nous rapprochâmes en rampant.

Un bruit de branche cassée. Le chant se tut.

Je me dressai derrière un tronc d'arbre, j'écarquillai les yeux. Sur un petit foyer pendait une casserole. Une gui­tare gisait à côté. Un hamac tendu entre deux pins. Je com­pris que nos deux proies se cachaient alentour, derrière les buissons.

Le silence, longtemps. Mécaniquement j'armai mon AK.

- Amis... mes frères... " C'était la voix de Tuân. "Nous ne faisons de mal à personne... Laissez-nous partir..."

- Ta gueule! " hurla Bao, l'éclaireur. "Debout! Haut les mains! Sortez de là!"

Une minute. Des minutes. Le silence, toujours. Cu lâcha soudain la lanière. Je vis Nich fuser en diagonale, et je l'entendis aboyer dans les broussailles. Des aboiements de joie effrénée.

A ce moment le buisson frémit.

"Je vagabonde..." chante la voix.

- Espèce de folle" hurla quelqu'un. "Sale putain!".

Immédiatement les détonations crépitèrent. Quatre AK crachèrent leurs balles au même instant. Les éclairs fusaient, déchiraient l'ombre qui tombait.

Nous avons déchargé nos quatre chargeurs. Les mitraillettes se sont tues au même moment. Tous les quatre, nous avons bondi en avant, et nous nous sommes figés, pé­trifiés.

Derrière le buisson déchiqueté, ces deux êtres s'enrou­laient l'un autour de l'autre. Les balles semblaient les visser davantage l'un à l'autre. A l'instant suprême, l'homme a es­sayé de protéger la femme de son corps. Mais les balles les avaient transpercés de part en part. Les flammes du foyer se mi­roitaient dans leurs dos nus.

Nous sommes restés figés, longtemps. La nuit tombait. Nous semblions ligotés les uns aux autres, soumis à quelque chose d'invisible, d'infini qui lentement nous submergeait. L'odeur de la poudre, la seule trace de notre folle volonté, s'était évaporée.

Cu se mit à hurler.

Je me suis assis à côté de Tuân et de Diêu Nuong. Je les ai séparés.

* * *

Deux jours après, nous avons reçu l'ordre de marcher vers le Sud. Nous avons quitté le village de Diêm pour tou­jours. J'ai repris mes esprits. Cu aussi. La bataille nous at­tend, seule issue pour nos âmes. Nous combattrons, et nous oublierons.

La saison sèche brûle la plaine, la dore. Les vents sau­vages hurlent, soulevant des tourbillons de poussière rouge. Des vents de folie, comme armés de griffes, qui labourent le visage de la terre.

Nous ne savions pas que nous nous enfonçions dans la dernière saison sèche de la guerre. Nous avons fusillé les messagers de la paix, et pourtant, malgré tout, la paix est revenue.

Sur la plaine, pendant toute la saison sèche, les vents ont soufflé. Des vents paisibles et des vents sauvages.

Bao Ninh

traduit du vietnamien par Phan Huy Duong

 

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1.  Prêtre catholique. Les termes vietnamiens linh muc  signifient textuellement pasteur des âmes.

2. Qualificatif attribué par les révolutionnaires, indis­tinctement, à la musique en cours dans les régions sous l'au­torité de Saigon. A le même sens que dans l'expression "syndicat jaune".

3. Nom de code d'une offensive militaire du Front National de Libération en 1972, dans les provinces du Centre Vietnam.

4. Jeu d'enfance. Espèce de base-ball où un bout de bois tient lieu de balle.

5. L'armée de Saigon entretenait des camps militaires où logeaient les familles des soldats.

6. terme désignant les cuisiniers dans l'armée révolu­tionnaire.

7. Une politique fondamentale des révolutionnaires.

8. Argot. Signifie: partir dans la brume à la recherche de prostituées.

9. Le cri de cet oiseau résonne comme le mot vietna­mien signifiant "patrie": Quôc.

10. Termes courants pour désigner une église.

11. Fantassin dans l'armée révolutionnaire. Est passé dans la langue française.