TOC, 16/01/06

Nadia Tiourtite

Viêt Nam

TERRE DES OUBLIS

La perversion d'un parti qui s'immisce dans la vie des couples

Duong Thu Huong, grande dame de lettres interdite de publication dans son pays, traque les effets du régime communiste sur la société vietnamienne. Un regard aigu servi par une plume feutrée.

 

Quand Bon le vétéran fait sa réapparition au village du Hameau, personne ne l'attend plus. Son avis de décès est parvenu aux siens. Et après la période de deuil requise par la bienséance, Mien, sa jeune épouse, s'est remariée. Mais Bon ne veut pas en rester là. C'est le souvenir de son bonheur perdu qui lui a permis de résister à l'enfer des combats et de la jungle. Peu lui importe que Mien soit heureuse auprès de son second mari et de leur fils.

Le poids de l'opinion

Elle devra pourtant se soumettre sous le poids de l'opinion publique - ce tribunal antique du fiel, « chose invisible et pourtant terrifiante » - sans qu'aucune voix ne se soit pour­tant élevée pour réclamer son retour. Il faut payer sa dette aux combat­tants qui ont sacrifié leur vie à l’indépendance du pays. Sa place est auprès de cet ancien mari, ce mort vivant qu'elle ne reconnaît pas, abîmé par la dysenterie et hanté par la folie meurtrière qui l'a emporté dans son sillage. Un drame romantique mièvre ? Pas sous la plume de Duong Thu Huong. D'une plume feutrée, sans effet facile de dénonciation, elle pose un regard d'une grande acuité sur la société vietnamienne.

Romantisme assumé

C'est au cœur de la vie des gens, de leur intimité, qu'elle traque les effets du régime communiste, ses illu­sions, ses manipulations au nom de l'honneur, de la dette nationale à l'égard des combattants. Le sens de l'honneur, mécanique, aride et sans nuance des communautés villageoises ; le sort des femmes, la perversion d'un parti qui s'immisce dans la vie des couples pour dicter la bienséance : ce sont là des thèmes qu'elle explore dans ce roman. Cette grande dame de let­tres vietnamienne écrit dans une langue romantique complètement assumée, «seule capable pour elle d'évoquer la beauté ». Elle est aussi une formidable paysagère. Elle possède une écriture de la lumière, des odeurs, qui sait rendre jusqu'aux bruissements du vent. Aujourd'hui dissidente exclue du parti commu­niste et interdite de publication, Duong Thu Huong vit en résidence surveillée dans son propre pays. Mais son idéalisme reste intact, la naïveté en moins.

Nadia Tiourtite