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Terre des oublis

l’art de la réminiscence et du silence

 

Dans la littérature contemporaine du VN, Duong Thu Huong a porté à un sommet l’art de la réminiscence et du silence. Elle fait vivre simultanément ses trois principaux personnages sur ces deux modes d’existence plaquant sur leur présent leur existence passée, éclairant le monde de leur soif d’avenir.

Ainsi, à propos d’un événement de la vie présente, chaque personnage est constamment submergé par ses souvenirs. Les faits qu’il se remémore appartiennent bien au passé, mais la mémoire, les sensations, les sentiments sont bien présents dans l’esprit, le cœur et le corps de l’homme. Ce vécu qui se réincarne donne à ses personnages l’étoffe, l’épaisseur, la profondeur, les dimensions d’un être humain forgé par une histoire à la fois collective et totalement individuelle. Pour Bôn par exemple, son présent est bien le présent d’un rescapé de la guerre physiquement anéanti par ses atrocités, mentalement hanté par le désir de retrouver sa jeune femme au village natal. Tout son avenir en découle férocement jusqu’à l’entraîner dans le crime et le plonger dans la folie, errant d’un néant à l’autre dans un monde déserté par les hommes d’aujourd’hui.

De même, à propos des mêmes événements, en italique dans le texte, chaque personnage dit en silence ce qu’il pense. De ce fait, le lecteur voit le monde à travers ses yeux et entend sa voix de l’intérieur. Cette voix est des plus étrange Il ne s’agit nullement de monologue, de dialogue, de pensées intérieures dont nous sommes accoutumés. Il s’agit d’un véritable dialogue avec le monde, Autrui et soi-même. Mais c’est un dialogue de sourds dans le silence des hommes ! Cette parole silencieuse s’adresse directement au monde, mais n’en attend aucune réponse. Ce rapport étrange, immédiat, simultané avec le monde, Autrui et soi-même produit un effet dévastateur : c’est à la fois l’affirmation d’une subjectivité et la reconnaissance de son irrémédiable solitude. C’est toute la singularité d’une existence humaine à travers tous ses rapports aux choses, à la vie, à l’Autre, à elle-même. Par là, cette aventure singulière rejoint l’universel de la condition humaine de notre temps : la solitude, l’impuissance à inventer un monde dans lequel chacun et chacune, quel que soit le passé dont il est né trouvera sa place dans l’avenir commun des humains. Le fond humaniste de l’œuvre a trouvé la forme adéquate pour s’incarner dans le langage, qu’il soit vietnamien ou français.

Phan Huy Duong

02-2006