LE FIGARO, 11/02/2006

VIETNAM MON AMOUR

Stéphane Guibourgé

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NOUS SOMMES AU VIETNAM. Voici Miên, une jeune femme sur le che­min du retour, que l'inquiétude taraude au milieu de la forêt. Elle craint pour la vie de Hanh, son jeune fils, pour celle de Hoan, son riche mari parti en mer avec sa flotte char­gée de cargaisons de poivre. Elle tremble pour son bonheur.

La peur au ventre, elle regagne sa maison, dans le hameau de la Montagne. Tout autour, la nature paraît se pen­cher au-dessus d'elle, pareille à une menace, lourde des mille vies qu'elle dissimule. A l'image des angoisses de Miên.

Dès son arrivée au village, elle apprend le pire. Bôn est revenu. Son premier mari, épousé quinze ans plus tôt, donné pour mort par les autorités, tombé au combat contre les Amé­ricains, est vivant. Il veut retrouver sa place, réclame sa femme, une part de son passé, et un avenir. Miên s'inclinera, Hoan s'exilera en ville, Bôn s'échinera à avoir un fils...

Sur ce canevas très classique, Duong Thu Huong tisse une oeuvre magique. En s'attachant, jusqu'au plus sombre de leurs pensées, à ces destins brisés, elle dresse avec précision et délicatesse le portrait de ces trois êtres perdus, mais aussi celui d'un Vietnam écartelé entre politique et sentiments. Mili­tante pour la démocratie, exclue du PC en 1990 puis empri­sonnée sans procès, elle écrit sans haine, en véritable écri­vain. Après six livres traduits en français, elle donne ici un très grand roman. Duong Thu Huong aime ses personnages, ne les juge pas, ne les condamne jamais. Il faut entendre les voix intérieures de chacun, la faiblesse de Bôn, hanté par la guerre et inca­pable de reconquérir sa femme, le désespoir de celle-ci, et la tristesse de Hoan qui s'efforce de chasser les souvenirs parce qu' « il les sent comme des offenses vis-à-vis de Miên »... Il faut en éprouver l'écho dans l'évocation des bruissements et des couleurs du Vietnam. Duong Thu Huong porte la littérature à son acmé. Nous fait plonger au cœur de la chair et de l'esprit,

dans des ténèbres traversées d'éclats de lumière. Chef­-d’œuvre ? Oui.

Stéphane Guibourgé

Traduit du vietnamien par Phan Huy Duong.

Duong Thu Huong : six romans et un chef-d'ceuvre.