France Inter

Terre des oublis

de Duong Thu Huong

 

Patricia Martin

 

Patricia MARTIN vous nous recommandez la lecture du dernier roman de Duong Thu Huong "Terre des oublis". L'auteure est Vietnamienne. Militante communiste elle a été exclue du parti il y a une quinzaine d'années. Elle vit aujourd'hui à Hanoï en résidence surveillée. "Terre des oublis" est-il un roman engagé ? (à l'image de ses précédents livres).

Engagé, certainement - Ca n'étonnera pas ceux de nos auditeurs qui ont déjà lu "Au-delà des illusions" (le livre emblématique de Duong Thu Huong) ou "Les paradis aveugles" couronné en France par le Fémina Étranger.

Ils retrouveront la même empreinte, la même vigueur d'une écriture libératrice.

Engagé, ce livre, mais pas militant - Ce serait bien trop réducteur.

"Mes romans sont des clichés de douleur" confiait l'auteure dans une interview.

Ici : La douleur silencieuse et le cri étouffé d'une jeune femme au doux nom de Mien.

Mien vient du Hameau de la montagne, au centre du Vietnam. En premières noces, elle a épousé un jeune homme qu'elle aimait, même s'il était très pauvre, même s'il devait partir à la guerre, même si elle se disait qu'elle ne le reverrait peut-être jamais.

Et puis les années ont passé, et Bon a été donné pour mort.

Mien a ensuite rencontré Hoan, le fils de l'instituteur, un être raffiné, beau, aisé. Ils sont tombés amoureux, se sont mariés et ont eu un fils.

La vie était douce et tranquille jusqu'au jour où Bon (censé être mort je vous le rappelle) réapparaît.

C'est d'ailleurs la scène qui ouvre le livre et qui vous donne un coup de poing à l'estomac.

Bon a ce statut particulier de celui qui revient de la guerre. Il a sacrifié sa jeunesse à son pays, c'est un martyr. Et un martyr, dit la société, dit le Parti, ça ne s'abandonne pas.

Mien va donc à la fois se plier à la volonté commune et agir selon sa conscience. Elle quittera celui qu'elle aime pour retrouver un homme qui lui est devenu étranger.

"Terre des oublis" fait presque 800 pages - C'est dire que le rythme y est lent - Qu'il suit les méandres du temps et de la pensée et que la lecture en est voluptueuse.

Vous verrez que la tristesse de tout un peuple y est tapie, que les lois auxquelles on obéit semblent surgir du fond des âges, que l'on s'y révolte peu parce que personne n'est conscient de l'oppression qui pèse sur lui. Mais on y a le sang chaud et la sensualité s'exprime de façon explicite.

Vous lirez des pages qui sentent l'oranger, le basilic et le jasmin, vous passerez des moments bénis où l'on boit du thé au gingembre tandis que dehors chantent les cigales.

Un peuple très latin, finalement que les Vietnamiens.

Duong Thu Huong est très lue dans son pays, grâce à des éditions pirates puisqu'elle est bannie de la république socialiste.

Elle continue, inlassablement, à dire ce qu'elle pense, à dénoncer l'hypocrisie, la peur et l'argent.

Et même si les choses s'arrangent un peu sur le plan politique et économique, elle a appris à ses deux enfants qu'au Vietnam, il faut oser mourir pour survivre.