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Maître Âu :

« Modeste je vis, modeste je mourrai… »

 

 

« Modeste je vis, modeste je mourrai ; mais si je puis laisser dans vos esprits les idées vraies et généreuses, ce sera pour moi la plus douce des récompenses et la plus belle des gloires.[…]  » (Guyau, Le maître et l’élève)

 

 

Ce texte qui tente de retracer un portrait de mon père défunt, Monsieur Phạm Kiêm Âu, est conçu “sur commande” pour une étude portant sur l’ « Education des filles et émergence des élites francophones au Viet nam de 1920 à 1945 : quel héritage ? »[1]. Les sources d’informations en sont nombreuses : réponses à un questionnaire élaboré en vue de recueillir des témoignages, échanges d’emails avec / entre anciennes élèves et / ou ancien(ne)s collègues de Maître Âu, récits et correspondances pré-existants le concernant…, sans oublier une documentation riche et plus ou moins éparpillée de notre famille. L’accent y est mis sur l’image de Maître Âu dans les yeux de ses anciennes élèves, et sur quelques traits essentiels des grandes étapes de son existence.

 

 

1. Maître Âu et ses ‘élèves de sang’ ou ‘d’adoption’

 

De son vivant tout comme voilà quinze ans … seize ans … puis bientôt dix-sept ans après avoir quitté ce monde du yang pour s’en aller vers celui du yin, Maître Âu ou Thầy Âu reste encore pour ses anciens élèves, et surtout pour ses anciennes élèves (beaucoup plus nombreuses), une des images les plus représentatives du vrai Maître, conformément à la tradition confucéenne de la société vietnamienne, dont l’impact reste considérable pour plusieurs générations.

 

 

Calligraphie représentant l’une des devises de Maître Âu

(Le mot sino-vietnamien “Nghĩa” est intraduisible en français.

Quelques mots équivalents: loyauté, fidélité, humanité, attaches…)

 

Il est vrai que les Huéennes qui faisaient leurs études au lycée-collège des jeunes filles Đồng Khánh (ĐK) à Huế (là où Maître Âu a enseigné durant l’étape la plus importante de sa longue carrière d’enseignant) n’étaient pas toutes ses élèves. Pour reprendre la façon dont les élèves ĐK des années 50 aux années 70 du siècle dernier se nommaient (selon qu’elles faisaient partie ou non des élèves de ses classes), elles étaient ‘élèves de sang’ ou ‘élèves d’adoption’ de Maître Âu. Mais elles se rejoignent aujourd’hui pour reconnaître en lui ses mérites. Voilà comment quelques-unes de ses ‘élèves d’adoption’ le revoient :

« Je n’avais pas l’honneur d’apprendre le français avec Maître Phạm Kiêm Âu, mais à entendre prononcer son nom, toutes les anciennes élèves de Đồng Khánh telles que nous éprouvent du respect et de l’admiration pour ses méthodes d’enseignement qui avaient abouti à des résultats très considérables. » (Tôn Nữ Thanh Minh @ 21.3.2010) – « Je n’ai pas eu l’occasion de travailler avec Maître Âu, par contre ma grande sœur Như Tùng avait cette chance. Elle me disait souvent que c’était un professeur très bon et très sévère, surtout dans la notation. » (Từ Thị Kim Cúc, citée par Nguyễn Thanh Trí @ 23.3.2010) – « Je n’avais pas la chance d’avoir Maître Âu comme prof et par conséquent je savais peu de choses sur lui. Pourtant je l’ai toujours considéré comme mon professeur et je le saluais presque chaque jour dans les couloirs de Đồng Khánh lorsque j’y étais élève. » (Kim Thanh, citée par Nguyễn Thanh Trí @ 26.3.2010) – « J’avais beaucoup d’estime pour Maître Âu et vraiment je regrette de n’avoir pas été une de ses élèves. » (Kiều Hạnh @ 11.4.2010) – « Tout comme Kiều Hạnh, je n’ai pas étudié avec Maître Âu, car j’appartenais à une promotion postérieure, mais mes grandes sœurs oui... L’image que j’ai le mieux conservée de lui était celle à l’aéroport Phú Bài... Ma famille revenait à Huế, c’était en 1972... Le soleil était accablant ce jour-là, nous attendions notre voiture. Le Maître nous a dit d’approcher, et de ses bras largement tendus il nous abritait dans son pardessus... Aujourd’hui encore, ma petite sœur et moi, nous nous rappelons toujours sa grande silhouette et sa voix protectrice de ce moment-là. » (Tăng Bảo Hương @ 18.4.2010).

 

Neiges d’antan

Légendes: Une classe de Đồng Khánh lorsque nous n’étions pas nées, 1936 – Et Đồng Khánh de notre génération

(Một thời Đồng Khánh 2007)

 

De leur côté, les ‘élèves de sang’ de Maître Âu se montrent bien contentes et fières d’avoir gardé jusqu’aujourd’hui soit une photo de leur classe conçue par Maître Âu lui-même (Nam Trân, Diệu Phương…), soit un livret scolaire avec ses appréciations, sa signature (Trương Thị Huệ), de très longues lettres avec son écriture presque illisible (Nguyễn Thị Hoà, Nam Trân)... À travers leurs emails, elles se partagent aujourd’hui leur nostalgie et le plaisir de revoir ensemble ces photos de classe, grand privilège pour ses anciens et anciennes élèves, des photos dont les “droits d’auteur” (dans les termes de Nam Trân) reviennent à Maître Âu : c’est lui qui s’est donné la peine de rassembler les photos des élèves de chacune de ses classes, les disposer sur une feuille de papier de grand format en fonction de la place que chacun(e) occupait dans ses cours, puis faire photographier le tout en vue d’une photo “commune” pour chaque classe, qu’il faisait multiplier et distribuait... Rappelons qu’à l’époque, les appareils de photo numériques n’existaient pas encore, les photos ne se produisaient qu’avec des “négatifs” ou pellicules.

 

 

    

 

“Réitérations” des photos de classe de Maître Âu – Đồng Khánh

En haut : (gauche) Classe 2A1, 1959-1960 (Lá Thư Phượng Vỹ 2008) – (droite) Classe 2C1 1962-1963 (Đồng Khánh Mái trường xưa 1997)

En bas : (gauche) Classe de Đệ Nhất C1(1968-1969) (Extrait d’un power-point des anciennes de ĐK 2010) – (droite) Classe de 12A2 (Français Langue vivante 2), 1974-1975

 

2. Des souvenirs de jadis avec Maître Âu

 

Les souvenirs de jadis “remués des cendres” abondent… à chaque déclic. Je me limite ici à ne présenter que des souvenirs ranimés dans des emails échangés, et choisis de laisser ceux mentionnés dans des réponses du questionnaire d’enquête à un autre moment d’analyse plus systématique.

 « Il m’a toujours appelée par le numéro vingt-sept (selon la place de mon nom dans le registre d’appel) », se rappelle l’une d’elles (Trương Thị Huệ @ 26.3.2010). Et si Thanh Trí (d’une promotion très ancienne, vers 1951, aujourd’hui peintre aux États-Unis), se contente de brosser un croquis représentant son Maître ‘âgé’ avec des traits qui miraculeusement traduisent bien son sourire serein de vieux grand-père, et d’écrire un bref récit relatant une anecdote avec son Maître ‘jeune’ (voir Annexe 2), Anh Phi (faisant partie des plus jeunes générations, vers 1974, actuellement en Australie) a essayé de ranimer les souvenirs avec son Maître en écrivant un petit poème (voir Annexe 2). Emportée, Nam Trân enchaîne : « Maître Âu a donné aux élèves ĐK une définition très amusante et inoubliable : “Entrer dans la classe après le Maître, c’est être en retard pour le cours” (la porte lui sera alors fermée ou bien l’élève en question perdra des “points”dans la notation !). Par conséquent les élèves avaient bien peur, il y en avait qui faisaient renverser la mobylette du Maître (comme Anh Phi), ou qui, en toute turbulence, “se faufilaient” même entre … ses jambes pour le devancer ! » (Nam Trân @ 22.3.2010). Diệu Phương qui avait Maître Âu comme professeur principal en 12C2, reconnaît que le poème de Anh Phi représente tout à fait « l’image agitée d’[elle]-même et de [ses] camarades de classe, à chaque fois que retentissait la sonnerie pour le commencement du cours de Maître Âu : tout le monde s’apprêtait à courir le plus vite possible pour entrer dans la classe avant le Maître » (Diệu Phương @ 22.3.2010). De son côté, Minh Phương témoigne : « Presque quarante ans sont passés, alors je ne me souviens pas dans les détails, mais je me rappelle que les cours de français m’ont beaucoup intéressée parce que Maître était très dynamique, et exigeait toujours que les élèves prennent parole et répondent à ses questions. Si ce n’était pas préparé à l’avance, Maître s’en est aperçu tout de suite, un simple coup d’œil lui suffisait pour interpeller la bonne personne qui ne pouvait alors se dissimuler. Maître avait une règle selon laquelle il n’était pas permis d’être en retard à ses cours, c’est pourquoi un jour Diệm Hoa (résidant actuellement en Suède) s’est glissée entre ses pieds pour entrer rapidement dans la classe avant lui. Elle a encore évoqué le souvenir quand je l’ai rencontrée l’année dernière. – Quand on avait à étudier des textes courts, Maître posait souvent des questions qui demandent de mobiliser l’imagination, où le “par cœur” ne permet pas de bien répondre. Il y avait des élèves qui répondaient et même si leurs réponses ne convenaient pas à l’idée de Maître ou celle de l’auteur, si la réponse était “originale” et faisait rire Maître et toute la classe, ce serait “pardonné”, la réponse quant à elle serait “notée” dans le carnet de Maître pour qu’il puisse plus tard la relire et se souvenir de ses élèves. […] Moi, je me rappelle bien qu’à un de ses cours, Maître a surpris Thái Tuyết (actuellement à SG) et moi en train de bavarder. Maître a appelé TT et lui a demandé d’analyser une nouvelle (de Balzac, je crois). TT tremblait fort, elle a jeté un coup d’œil sur le texte à lire puis au lieu d’avouer son tort, elle a levé la tête, sûre d’elle, et lui a répondu en français : “Le texte parle de l’amour entre un jeune homme et une jeune fille, pourtant l’amour, personne n’est capable de… l’expliquer ou l’analyser…” Maître s’est éclaté de rire car il savait que TT “parlait à tort et à travers”, mais il nous a pardonné à toutes les deux, puis la tête baissée … il a écrit dans son carnet la parole “immortelle” de son élève “loquace” » (Minh Phương @ 3.5.2010).

Mais … justement, qu’est-ce qui pouvait donc figurer dans ledit carnet ? Dans le récit émouvant « Trường xưa phượng đỏ » (voir Annexe 2), Nguyễn Thị Hoà s’est donné la peine de reproduire dans les détails un extrait de ce carnet qui concernait elle-même et ses camarades de classe (en 1070-1971), détails que Maître Âu lui-même lui avait fournis, dans une de ses lettres, bien des années plus tard (1982).

 

   

 

Les carnets de bord (reliques) chez Maître Âu

(Salle de travail légèrement réaménagée par rapport à l’état original)

 

Quỳnh Hoa (septuagénaire aujourd’hui) a rassemblé pour me faire parvenir ces passages échangés par email entre elle et ses anciennes camarades de classe (Quỳnh Hoa @ 11.5.2010): « Chaque fois qu’on arrivait tôt à l’école, tout notre groupe se mettait à la fenêtre qui donnait sur le préau pour attendre le professeur. Un jour Maître Âu est arrivé avec sa mobylette café au lait, derrière lui la saccoche accrochée à la mobylette était un peu déplacée, tirée vers le bas, alors on a toutes crié : Maître, les œufs couvés[2] que vous portez là sont trop lourds, ça pèse sur la saccoche, et on a bien ri. C’étaient vraiment des rébellions de jeunesse ! » (Lê Thị Châu) – « Pour les heures de Maître Âu, c’était bien palpitant, on cherchait à éviter ses œufs couvés. Moi, j’étais déjà un “soldat blessé” de Maître, alors tant pis, j’y suis restée, si j’allais ailleurs je risquerais une rechute. » (Tôn Nữ Cẩm Quỳ) – « Le prof de maths, lui, a promulgué une loi qui voulait que tout élève qui entre en classe à un pas après lui est retardataire, d’où des circonstances où certains élèves le poussaient en arrière pour le devancer. Il arrive que Maître trébuchait et qu’aussitôt nos visages sont devenus tout pâles, mais Maître a passé l’éponge puisque la loi venait de lui-même » (Nguyễn Cửu Thị Việt).

Aujourd’hui, à la lecture d’un texte écrit par Nam Trân et dédié à Maître Âu suite à son décès[3], Thư Trì se rappelle « sa silhouette grande mais mince, sa chevelure peignée vers l’arrière et son front large, ses lunettes si épaisses, sa démarche posée avec un gros cartable inséparable, et [elle] semble entendre encore son rire euphorique et bienveillant résonner dans la classe quand Maître s’apercevait de quelque “faute” amusante de ses élèves ». Thư Trì avoue : « J’ai eu la chance de continuer à l’avoir comme prof à l’université, d’acquérir encore d’autres connaissances et un tas d’expériences pour renforcer mon modeste fonds de français, c’est pourquoi je ressens toujours pour lui une affection et un respect particuliers. […] Maître n’est plus présent mais les souvenirs le concernant tout comme le bagage intellectuel qu’il a muni à chacun de ses élèves tel un capital dans la vie sont encore là, l’image de Maître ne se fânera donc jamais dans le cœur de ses enfants spirituels. » (Thư Trì @ 2.4.2010)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Maître Âu avec ses élèves

Classes de Đệ tam (1956-1957) – ĐK (Quốc Học-Đồng Khánh 2007)

 

Même des “accidents”, “dysfonctionnements” entre Maître Âu et ses élèves sont évoqués en toute complicité : « Maître faisait partie des professeurs qui avaient beaucoup de bonnes influences sur les élèves et qui m’ont laissé à moi-même le plus de souvenirs, et c’est surtout lui. Comment pourrais-je oublier le jour où Maître m’a mise à la porte (classe de Đệ Ngũ[4]) pour mes comportements trop indisciplinés en classe ! J’ai été envoyée au bureau du proviseur et, le lendemain, j’ai dû venir chez Maître pour m’excuser… » (Quỳnh Hoa @ 28.3.2010) – « Maître m’a demandé de conjuguer le verbe Aimer au mode impératif. J’ai répondu sans façon : “Il n’y a pas de mode impératif pour le verbe Aimer, monsieur !”. Silence dans toute la classe. Trop étonné, Maître ne parlait plus en français, il m’a grondée en vietnamien : Vous plaisantez ? Vous vous foutez de moi ? Pourquoi ? – J’ai aussi répondu en vietnamien (et Maître ne m’a plus “exigé” de parler en français) : Monsieur, aimer ou détester ça vient du plus profond de soi-même, on ne peut pas donner l’ordre à qui que ce soit, même si on est roi ou président de la république ! Maître avait l’air de réfléchir, il ne m’a pas sanctionnée, ne m’a pas donné la note de 00 et disait tout simplement : “Ça va, c’est compris !”. Plus tard, entre nous, Maître m’a demandé pourquoi, c’est que j’étais fâchée contre lui ou quoi, pourquoi me montrer aussi têtue, etc., pourquoi ne pas m’adresser à lui en toute confidence et me comporter ainsi devant toute la classe… Je me sentais déjà bien repentie à ce moment-là, alors j’ai dit : Monsieur, excusez-moi, je sais maintenant que j’ai eu tort ! » (Vương Thuý Nga @ 25.3.2010).

Elles ne sont pas de celles qui voient aveuglement en leur Maître un être céleste, d’une perfection sans faille, pourtant pour chacune d’elles, Maître Âu reste à jamais un symbole de dévouement sans borne, de compétence, d’efficacité et de vie exemplaire. C’est ce dont témoignent entre autres ces extraits d’emails : « Maître Phạm Kiêm Âu était un professeur qui s’est consacré à ses élèves, et en même temps il était très sévère envers eux / elles. Tout le monde le craignait et l’estimait. » (Quỳnh Hoa @ 11.5.2010) – « Du temps où j’étais une de ses élèves, j’ai trouvé qu’il lui arrivait d’avoir tort – à mon sens – mais l’essentiel c’est qu’il voulait du bien à ses élèves, donc je ne le critiquais pas, d’ailleurs plus tard quand je n’apprends plus avec Maître, j’ai tout oublié de ce que, à l’époque, je pensais pouvoir être ses “défauts”, je ne retiens plus que ce qui était positif, bon, aimable chez Maître. » (Vương Thuý Nga @ 30.3.2010). De son côté, Thanh Trí énonce avoir reconnu en lui « le portrait du vrai Maître, de l’éducateur exemplaire, compétent et vertueux, une âme d’artiste […] sensible jusqu’aux larmes ».

En effet, selon les anciennes élèves de Maître Âu qui ont répondu au questionnaire de recueil de témoignages, les mots qui caractérisent le plus leur Maître Âu sont les suivants (dans l’ordre décroissant de fréquence d’apparition) : “dévouement”, “vertu”, “sérieux”, “exemplaire”, “humoriste”, “affectueux”, “sacrifice”, “idéal”, “juste”, “doux”, “simple”, “créatif”, “conscience”, “amour de la vie et du prochain”, “compétent”, “respectable”, “empathie”, “sens d’organisation”, “discipline”, “exigeant”.

 

3. Ce qui reste…

 

3.1. Ses enseignements

Voyons comment les anciennes élèves reconnaissent les enseignements de Maître Âu en répondant à cette question de l’enquête : « D’après vous, en dehors des connaissances liées aux matières enseignées, vous a-t-il transmis d’autres leçons sur la vie ? »

« Il nous a enseigné non seulement des mots et des connaissances, mais encore de la Morale, de la philosophie sur la vie. » (Vương Thuý Nga) – « Maître était pour moi un modèle lumineux, non seulement en tant qu’enseignant, mais aussi en tant qu’être humain bien consciencieux, dévoué, plein de sacrifices et d’affection. » (Vương Thuý Loan) – « Maître nous a donné une bonne leçon sur la mise en application des habiletés spirituelles, des méthodes pour bien mémoriser les faits… D’après moi, c’était l’un des professeurs les plus compétents qui se consacraient entièrement à leur tâche, que plus tard il serait difficile de retrouver. » (Trần Thuỳ Mai) – « Il m’a enseigné des leçons précieuses sur l’affection entre prof et élève, et l’amour des enfants et du métier. Je crois que pour lui, pour enseigner on s’y met tout à fait, non seulement son cœur mais aussi son âme. Je le trouvais heureux ou attristé selon son vécu avec chacun de ses élèves, sans distinction entre les bons et les faibles, entre les sages et les moins sages. […] Je respecte ses façons de faire, même si parfois il était un peu trop minutieux. Mais cet aspect minutieux est bien sa propre particularité, ça reflète son amour du métier et l’attention attribuée à chaque avancement de chacun de ses élèves […]. » (Đoàn Phương Mai). – « Sa qualité seule suffit déjà pour nous enseigner un exemple à suivre. C’est le sérieux dans toute chose qu’on poursuit, la modération dans les paroles et les actes, l’attention attribuée à tous et à tout dans son environnement, la ferveur d’embellir les générations postérieures. » (Đặng Ngọc Lệ Khánh) – « Lui-même et sa vie étaient déjà pour nous une leçon, celle du comment faire pour être un homme : c’est savoir vivre dans la vertu, dans l’humanité, la fidélité et la loyauté, c’est savoir aimer et se sacrifier. » (Trương Thị Huệ) – « Beaucoup, dans mon cas personnel. Maître m’a enseigné le respect de soi, l'honnêteté, le courage, l'empathie, la tolérance envers les autres, la compassion, le partage d’affection avec des gens succombés dans la détresse et la souffrance. Il enseignait tout cela en moyennant tout son cœur, ce qui fait que ses enseignements étaient profondément imprégnés en moi. » (Nguyễn Thị Thuý Loan) – « Maître a dit : Efforcez-vous d’apprendre, sinon plus tard vous aurez à respirer la poussière des voitures de vos amis. » (Hồng Hạnh Luguern).

Interrogées sur les éventuels propos ou paroles de Maître Âu relatifs à des relations hommes-femmes et à l’égalité ou inégalité des sexes à l’époque, les anciennes élèves déclarent qu’elles n’ont rien trouvé de particulier chez lui. « Jamais », affirme Hồng Hạnh Luguern. « On peut dire qu’il était très égalitaire dans ce domaine », déclare Vương Thuý Nga. Pour Đặng Ngọc Lệ Khánh, « Maître n’a jamais eu de discrimination entre garçon et fille. Avec lui, il n’y avait que des élèves, et c’est tout ». Trương Thị Huệ et Trần Thuỳ Mai avouent n’avoir pas ou pas encore eu l’occasion de l’entendre parler de tels problèmes. Nguyễn Thị Thuý Loan, quant à elle, présente une observation bien originale à ce propos : « Jamais. Je ne comprends pas la question. J’étais bien une fille mais personnellement je pense que j’ai bénéficié de lui une attention particulière. C’est parce que j’étais une bonne étudiante ? ».

 

3.2. La petite pierre pour l’édifice

De son vivant, c’est en toute modestie que Maître Âu reconnaissait en lui-même l’image d’ « une petite luciole ». Parmi les textes d’auteurs qu’il tenait vraiment à cœur, se trouve cet extrait de Guyau dont le début m’a servi de prologue pour ce portrait de lui, et que vous trouverez un peu plus en bas dans la partie 4 « Un arrière-plan souvent méconnu ».

Mais que justice soit faite ! Qu’en disent ses anciennes élèves ? Essayons voir.

Voici ce que certaines d’entre elles ont répondu aux questions : « D’après vous, pour l’œuvre éducative du Vietnam, a-t-il eu une contribution digne d’être reconnue ? Existe-il quelque chose de lui susceptible d’être considéré comme une valeur de la vie, exemplaire pour les générations postérieures ? » :

« Je crois que tous les enseignants sont plus ou moins des éducateurs, car ils forment des individus utiles à la société. Le professeur du secondaire ne s’occupe que de quelques matières du programme, par conséquent la réussite ou l’échec des élèves ne peuvent être considérés comme appartenant à qui que ce soit. Pourtant chaque professeur a plus ou moins des influences sur ses élèves. Dans le cas de Maître Âu, c’était un professeur doté de nombreuses qualités, il était donc un modèle lumineux, un exemple à suivre pour ses élèves (alors que ceux dont l’acte ne concorde pas avec la parole ne peuvent pas servir d’exemple aux élèves). Maître a éduqué ses élèves par son être même. Le jour où j’avais le premier cours avec lui, j’avais déjà entendu parler de son état d’ “exil” à Huế / Quảng Bình pour avoir participé au mouvement Trần Văn Ơn, donc autour de sa personne existaient déjà plusieurs mythes. L’avoir comme enseignant était aussi un honneur dans une vie d’élève. » (Vương Thuý Nga) – « Oui, évidemment. Il formait d’innombrables générations, et forcément plusieurs de ses ancien(ne)s élèves sont devenu(e)s enseignant(e)s parce qu’ils / elle avaient admiré Maître et voulaient lui ressembler, poursuivre son chemin. » (Vương Thuý Loan) – « Bien sûr, à mon sens, pour l’œuvre éducative du pays Maître a beaucoup contribué, en formant des générations consécutives d’élèves, et ils sont devenus des êtres humains et confirmés […]. Sa vie vertueuse reste à jamais un brillant exemple pour les générations à venir. » (Mai Băng Thanh) – « Il était fort dans sa spécialité, enseignait de toutes ses forces, avait toute une vie consacrée à l’œuvre éducative. Sa façon d’enseigner et de vivre était unique et brillant, personne ne pourrait lui ressembler. » (Trần Thuỳ Mai)« Il était très reconnu, ce que confirmeront plus tard ses élèves de l’époque. La raison, c’est qu’il enseignait bien, mais peut-être aussi parce qu’il était l’image représentative des enseignants qui se consacrent pleinement aux élèves ». (Công Huyền Tôn Nữ Thu Quỳ) – « D’après moi, Maître a considérablement contribué à l’éducation nationale. On n’a pas besoin de choses grandioses, c’est sa vie même, ce sont ses enseignements et ses activités de classe qui engendraient des individus excellents, tant sur le plan moral que pour leurs aptitudes. L’honnêteté était jugée en priorité dans ses cours. » (Kiều Hạnh) – « Il se consacrait entièrement à la transmission et à l’enseignement, dans l’espoir de voir ses élèves obtenir de bons résultats. » (Nguyễn Anh Phi) – « Mais oui. Maître a réussi à former des générations de jeunes, qui sauraient aimer l’école, bien éduqués, dotés d’un cœur humain. Pour d’autres élèves plus proches de lui, il y aurait éventuellement un supplément de patriotisme ardent. » (Đặng Ngọc Lệ Khánh) – « Pour moi, non seulement il formait des générations d’élèves munis de compétences, de savoirs scientifiques, Maître était aussi un modèle éclatant de vertu, de fidélité, d’humanisme et de miséricorde sans fin. » (Trương Thị Huệ) – « Les apports de Maître à l’œuvre éducative de la nation étaient énormes. La valeur de la vie la plus grande qu’il nous a laissée, c’est lui-même, le modèle sans tache de la conscience professionnelle, de la morale humaine et de l’éthique du métier, de la générosité, de la fidélité, de l’humanité et de l’affection entre maître et élève. » (Nguyễn Thị Thuý Loan) – « J’ignore comment il a contribué à l’éducation du pays, mais dans le domaine de la littérature française il a beaucoup aidé ses élèves. Une jeune fille revenue du maquis, après seulement quelques années d’apprentissage avec lui, s’est déjà munie d’une connaissance assez importante en littérature française. » (Hồng Hạnh Luguern).

 

Le corps enseignant de l’école Đồng Khánh (1973-1974)

Manuscrit de Maître Âu, en bas de la photo : « Trường nữ Trung học Đồng Khánh Huế / Niên khoá 1973-1974 / 5 giờ chiều thứ ba 15 tháng 1 năm 1974 / (23 tháng chạp năm Quý-Sửu) / Dãy nhà phía trái / (từ ngoài đi vào) » (École secondaire des jeunes filles Đồng Khánh Huế / Année scolaire 1973-1974 / 5h de l’après-midi du 15 janvier 1974 / (le 23 du 12e mois de l’Année du Buffle) / Bâtiment de gauche / (en entrant) )

(Đồng Khánh Mái trường xưa 1997)

 

 

4. Un arrière-plan souvent méconnu

 

4.1. « Modeste je vis, modeste je mourrai » (Guyau)

Le lycée-collège Đồng Khánh où Maître Âu enseignait pendant plus de vingt ans n’était pas le seul établissement où il accomplissait sa tâche d’enseignant. Le premier poste de Maître Âu se trouvait au Lycéum Bassac à Cần Thơ (1944). Ensuite c’était dans quelques écoles à Saigon, puis à Đồng Hới dans l’établissement Chơn Phước Phượng, avant qu’il vienne s’installer à Huế jusqu’à la fin de ses jours.

    

 

Maître Âu à Đồng Hới

À gauche : À l’École Chơn-Phước-Phượng – À droite : Avec son manuscrit « Non sông nào phải buổi bình thời » (Le pays n’est point à une époque de paix, de Nguyễn Bỉnh Khiêm)

 

Rien qu’à Huế (de 1954 à 1982), on peut citer de nombreux établissements qui l’avaient comme professeur : établissements secondaires tels que les lycées ou collèges Quốc Học, Đồng Khánh, Nguyễn Tri Phương, Nguyễn Du, Nông Lâm Súc, Bồ Đề, Bán Công, Jeanne d’Arc[5], et universitaires comme la Faculté des Lettres et l’École Normale Supérieure, établissements membres de l’Université de Huế… C’est en 1982 et à ses 63 ans, qu’il terminait sa carrière d’enseignant à l’École Normale Supérieure de Huế.

Au niveau secondaire, le plus souvent Maître Âu enseignait le français, mais il lui arrivait aussi d’enseigner (plus rarement et surtout dans un premier temps, vers les années 50 du 20e siècle) les mathématiques et la physique. À l’université, dans les départements de français qui formaient de futurs enseignants et des licenciés en langue francaise, il s’occupait de différents modules : Lecture dirigée, Étude d’œuvre, Grammaire pratique, Littérature française, Méthodologie (Pratiques méthodologiques)…

Un premier aspect de cet arrière-plan (ou face cachée) expliquerait le dévouement sans fin de Maître Âu à ses élèves. Il s’agit de ce texte de Guyau, considéré comme sa propre devise, et même comme héritage spirituel qu’il laissera plus tard à la seconde génération d’enseignants dans la famille :

« Modeste je vis, modeste je mourrai ; mais si je puis laisser dans vos esprits les idées vraies et généreuses, ce sera pour moi la plus douce des récompenses et la plus belle des gloires. Lorsque je ne serai plus, lorsque devenus grands, vous aurez peut-être oublié le maître de votre jeunesse, quelque chose de lui restera en vous sans que vous y songiez. Quand vous lirez, celui qui aujourd'hui vous apprend à lire sera encore à moitié avec vous ; quand vous écrirez, celui qui le premier a guidé votre main sera encore de moitié dans votre travail ; quand vous penserez à vos devoirs, à votre patrie qui attend de vous votre bonheur, votre maître aura sa part dans ces pensées généreuses qu'il vous a inspirées dès l'enfance. Non, je ne mourrai pas tout entier, car je revivrai en vous.

Enfants, votre maître vous aime, il vous aimera toujours. Que vous demande-t-il en échange ? Rien qu'un peu d'attention à ses paroles, un peu de respect pour ses leçons, et, si vous avez du cœur, un peu d'affection pour lui. »

Guyau, « Le maître et l’élève »

Maître Âu avait chaque année un carnet de bord, où étaient notés pour chaque classe la liste des élèves, le plan de chaque classe avec la photo de chacun(e) des élèves, et des mentions relatives à chacun(e): un CV sommaire, des résultats obtenus, des souvenirs marquants, etc.. À la toute première page du carnet, figurait toujours ce mot d’ordre (en langue vietnamienne, avec des lettres en majuscules bien tracées de ses propres mains), éventuellement accompagné d’un dessin de brûle-parfum au calambac (lư hương) , le tout disposé solennellement tel sur un autel :  « TỔ QUỐC TRÊN HẾT – TẤT CẢ CHO TỔ QUỐC – VÌ TỔ QUỐC, CHỈ VÌ TỔ QUỐC » (La Patrie par-dessus tout – Tout pour la Patrie – Pour la Patrie, rien que pour la Patrie). Lui qui n’avait pas du tout le don pour les arts plastiques … et l’effet était déjà très direct pour la petite enfant que j’étais à l’époque.

Il a fallu que j’atteigne un certain âge pour commencer à découvrir, petit à petit, l’homme qu’était mon père.

Et j’ai appris que, depuis son enfance, dès sa naissance même, la fatalité lui avait réservé un coup dur, fatal même. Baptisé “Kim Âu” par son père, il n’a malheureusement jamais pu bénéficier de ce prénom sacré aussitôt perdu.

Une parenthèse pour la signification de “kim âu”. Dans la conception traditionnelle des Vietnamiens de jadis, le mot composé sino-vietnamien “kim âu” désignait l’écluse en or (ou en bronze), symbole d’un territoire uni et solide. Plus tard, il était utilisé pour faire allusion à l’œuvre d’une nation. Le mot figurait dans le poème très connu « Chiêu Dương mộ bạc » (Arrêt de barque un après-midi à l’embarcadère Chương Dương)[6] du grand lettré vietnamien Ninh Tốn (1734-1790) de l’époque des Tây Sơn. Une autre anecdote concernant “kim âu” : selon une légende ancienne, après une victoire remportée contre des envahisseurs Nguyên, un jour les gens aperçurent que les jambes des chevaux en pierre, en face du mausolée de l’ancien roi Trần Thái Tông, étaient couvertes de boue. Ils interprétèrent le fait en disant que les chevaux en pierre (simples objets inanimés) étaient effectivement partis sur les champs de bataille. Le bruit finit par parvenir jusqu’au roi Trần Nhân Tông. Dans un moment d’euphorie, celui-ci improvisa ces deux vers : « Xã tắc lưỡng hồi lao thạch mã / Sơn hà thiên cổ điện kim âu » (Le pays à deux reprises voit ses chevaux en pierre partir / La patrie pour mille époques renforce son écluse d’or)[7].

Belle signification pour un prénom. Pourtant à cause de la prononciation “déviée” du dialecte de Sa-đéc (lieu de naissance de Maître Âu) qui ne fait pas la distinction entre “im” et “iêm”, “kim” et “kiêm”, et puisque le parent chargé de l’affaire était lui-même … analphabète, l’acte de naissance du petit Âu a été enregistré avec le nom en entier Phạm Kiêm Âu (au lieu de Phạm Kim Âu), nom qu’il aura à porter depuis, jusqu’à la fin de ses jours.

Né en 1919, fils cadet d’une famille pauvre de neuf enfants, le jeune Phạm Kiêm Âu a reçu une ferme éducation de ses parents, d’une mère très douce, plutôt effacée, et surtout d’un père, artisan dans le domaine d’argenterie, qui travaillait dur pour nourrir toute la famille. Le jeune Âu a hérité de son père des qualités qu’il sera plus tard déterminé à transmettre à ses enfants : loyauté, honnêteté, piété filiale, fidélité et sens de l’honneur. Tout comme son père, il a vécu transparent et est resté transparent durant toute sa vie.

 

À gauche : Maître Âu en 1948 à Sài Gòn – À droite : Maître Âu avec son père (assis), sa femme et ses premiers enfants à Saigon, vers 1961

 

Les valeurs qu’il a léguées à ses descendants (dont je fais partie) peuvent se résumer dans de nombreux proverbes, maximes… qui jadis lui servaient de devises, et qui sont devenus plus tard pour moi des mots d’ordre :

« Ne t’attends qu’à toi seul. » – « Nos plus sûrs protecteurs sont nos talents. » – « Travaillez, prenez de la peine, c’est le fonds qui manque le moins. » (La Fontaine) – « Un frère est un ami qui nous a été donné par la nature. » – « L’union des enfants fait le bonheur de la famille. » – « Aimez-vous bien les uns les autres. » – « L’homme n’est ni ange ni bête, et le malheur fait que qui veut faire l’ange fait la bête. » (Pascal) – « Mieux vaut avoir affaire à Dieu qu’à ses saints. » – « Exiger la reconnaissance, c’est presque mériter l’ingratitude. » – « L'accomplissement du devoir, voilà, jeunes élèves, et le véritable but de la vie et le véritable bien. »

… éventuellement dans du folklore vietnamien :

« Người ta đi cấy lấy công / Tôi nay đi cấy còn trông nhiều bề » (D’autres vont aux semailles pour être payés contre leur labeur / Moi, en allant semer je compte sur bien des choses) – « Ai ơi chí giữ cho bền / Dù ai xoay hướng xoay chiều mặc ai » (Oh mon cher, garde ta volonté bien ferme / Tant pis pour quiconque change de sens ou de direction) – « Cát bay vàng lại ra vàng. / Những người quân tử dạ càng đinh ninh » (Le sable envolé, l’or redevient l’or. / Les honnêtes hommes sentent leur cœur bien déterminé) – « Dù ai nói ngả nói nghiêng, / Lòng ta vẫn vững như kiềng ba chân » (Peu importe le racontar des gens, / Mon cœur reste stable comme s’il était sur ses assises) …

… ou encore dans des phrases d’auteurs, surtout celles de Victor Hugo, extraites de « Les Misérables », qu’il a recopiées dans ses lettres adressées à ses enfants (mars-avril 1994), peu avant son départ définitif (septembre 1994) :

« Mes enfants, voici que je ne vois plus très clair, j’avais encore des choses à dire, mais c’est égal. Pensez un peu à moi. » – « Mes enfants, ne pleurez pas. Je ne vais pas très loin. Je vous verrai de là. Vous n’aurez qu’à regarder quand il fera nuit, vous me verrez sourire. […] Je vais donc m’en aller, mes enfants. Aimez-vous bien toujours. Il n’y a guère autre chose que cela dans le monde : s’aimer. Vous penserez quelquefois au pauvre qui est mort ici. » (Victor Hugo, Les Misérables).

Suite à une rechute de tuberculose où il s’est courageusement lutté mais où le reste de ses forces ne lui était plus suffisant, il s’est éteint le 10 septembre 1994, à l’âge de 75 ans.

Ses anciennes élèves résidant à l’étranger ont fait une collecte et ont proposé à sa famille de lui construire un tombeau digne de lui, mais sa femme et ses enfants ont choisi de faire exaucer son vœu (rester modeste, simple, dans la vie comme dans la mort), et ont fait bâtir pour lui une tombe modeste, simple, dans le cimetière de la famille de ses beaux parents, là où sa dernière demeure (tout à fait comme celles de ses beaux parents et des défunts de sa belle famille) reste modeste, simple. Puis avec l’accord de ces anciennes élèves, la somme prévue pour le projet de tombeau était consacrée à une bourse annuelle pour de jeunes élèves en difficulté et ayant obtenu un bon résultat dans leurs études. Comme quoi Maître Âu pourrait toujours, comme de son vivant, veiller sur des générations futures.

Par ailleurs, cet esprit de venir en aide aux jeunes dans leur scolarité se multiplie : à côté de cette Bourse Phạm Kiêm Âu, d’une part, l‘un de ses fils (Phạm Anh Tuấn), en coopération avec d’autres bénévoles, a conçu et entretenu un fonds HHF (Hope for Hue Foundation, ou Fondation Espoir pour Huế), dont bénéficient depuis plusieurs années des malades hospitalisés à l’Hôpital Central de Huế et de jeunes élèves en difficulté pour leurs études ; et d’autre part, la veuve de son fils Phạm Anh Minh (décédé en 2004, 10 ans après lui, à l’âge de 44 ans !), Tố Phượng, s’est alliée avec les Départements de Mathématiques – Faculté des Sciences et École Normale Supérieure de l’Université de Huế, et surtout avec le collège Nguyễn Tri Phương, pour attribuer depuis deux ans des récompenses à des étudiants et élèves ayant obtenu des résultats satisfaisants en mathématiques, au nom de “Quỹ Khuyến học Phạm Anh Minh” (Fonds d’Aide aux études Phạm Anh Minh). De son vivant, Phạm Anh Minh était bien un jeune mathématicien confirmé dans le domaine de Topologie, au Vietnam comme à l’étranger.

                                                                

   

 

L’esprit d’aide aux études, d’hier à aujourd’hui…

À gauche : Récépissé de l’École Hai Bà Trưng (Huế) pour la Bourse Phạm Kiêm Âu, en 1995-1996 – À droite : Attestation pour des récompenses à l’intention des élèves doués en mathématiques (Collège Nguyễn Tri Phương, & Fonds d’Aide aux études Phạm Anh Minh), depuis 2009

 

4.2. Patriotisme et rapport avec “l’Autre”

Mais l’aspect le moins connu de la vie de Maître Âu doit être celui lié à ses activités de jeunesse dans le Sud du pays, la Cochinchine. En effet, engagé dans le mouvement révolutionnaire depuis 1936, il faisait partie des troupes des professeurs Hà Huy Giáp et Tam Ích. Il lui arrivait d’être arrêté, puis emprisonné. À la reprise de la Cochinchine par l’armée coloniale, il continuait à participer aux mouvements de résistance en plein Saigon. Suite à la manifestation générale visant à revendiquer la délivrance de l’élève Trần Văn Ơn, il était de nouveau arrêté puis expulsé de la Cochinchine en 1950. Exilé à Đồng Hới (Quảng Bình), il enseignait jusqu’en 1953. N’ayant pas l’autorisation de revenir dans le Sud, il s’installait en 1954 à Huế et continuait à enseigner.

Monsieur Phạm Văn Bạch, Juge en chef de la Cour Populaire Suprême du Vietnam, (jadis l’un de ses professeurs et Leader du Mouvement de Résistance en Cochinchine), a signé vers 1985 une attestation qui mentionne ainsi le cheminement patriotique de Maître Âu (extrait) :

« - Quand la Révolution d’Août s’est éclatée, il s’est engagé volontiers dans l’Organisation des Jeunes Volontaires[8] à Cần Thơ (Cochinchine), le leader de cette organisation en Cochinchine étant alors Docteur Phạm Ngọc Thạch.

- Ensuite, il a été sélectionné pour faire partie du Comité de Propagande des Việt Minh de la province de Sóc Trăng en Cochinchine.

- Depuis 46, date où j’ai quitté Saigon[9], il s’y est rendu clandestinement pour participer aux activités révolutionnaires.

- En 50, il a été arrêté par les Services Secrets français et leurs alliés, et emprisonné pendant un mois. Puis le Deuxième Bureau de l’armée française l’a fait prisonnier, en raison de sa participation à l’Organisation des Jeunes Volontaires, et pour avoir de ses mains utilisé des tiges de bambou pointues[10] pour lutter contre les Français.

Quatre mois plus tard, ses peines de prison expirées, il était libéré. Mais trois jours après, les Services Secrets de l’ennemi l’ont de nouveau arrêté.

Malgré les menaces, les tortures et les tentations de la part de l’ennemi, il restait déterminé dans son point de vue, alors les Français et leurs alliés l’ont envoyé en exil à Đồng Hới (Quảng Bình).

Vers la fin de la Résistance contre l’occupation française seulement, il a été libéré. […] »[11]

Toutes ces précisions devraient expliciter cette devise de Maître Âu : « La Patrie par-dessus tout – Tout pour la Patrie – Pour la Patrie, rien que pour la Patrie »[12], mais elles ne l’aidaient pas pour autant à … récupérer sa retraite, ou plutôt ses “indemnités de couverture sociale”, face au décret 236/HĐBT signé le 18.9.1985, qui consiste à couper toute indemnité aux personnes ayant eu moins de 15 années d’ancienneté consécutives (les années de labeur d’avant 1975 n’étant pas prises en compte). Modestes il est vrai, mais ces “indemnités” représentaient, en fin de compte, un minimum de reconnaissance... Brutalité et amertume que Maître avait du mal à digérer, après tant d’années de dévouement…

 

        

 

Les dernières années

À gauche: Des anciennes élèves de ĐK avec Messieurs Cao Xuân Duẫn et Phạm Kiêm Âu, le 20.11.1993 (Đồng Khánh Mái trường xưa, 1994) – À droite (de g. à dr.): Messieurs Nguyễn Hứa Thảo, Phạm Kiêm Âu, Nguyễn Văn Minh, Nguyễn Đình Hàm, vers 1993.

Finalement, c’est avec bon sens et optimisme qu’il s’est confié ainsi à l’un de ses gendres (en langue vietnamienne, dont voici la traduction) :

« Je me sens dans l’obligation de te dire : Ma récompense dans tout cela, comme toujours, c’est que :

- Je n’ai pas honte en regardant qui que ce soit: enfants, gendres, brus, petits-enfants, parents, ami(e)s, la société…

- car j’ai rempli MA TÂCHE, j’ai tout mobilisé de ma santé, de mon esprit, de mon cœur pour servir LA PATRIE.

Je n’ai qu’un seul regret, c’est que les circonstances ne m’ont pas permis de faire davantage. »11

 

      


Les funérailles de Maître Âu (septembre 1994)

En haut : (gauche) Des anciens collègues, réunis face à l’école Đồng Khánh-Hai Bà Trưng pour lui faire leurs adieux (Lá Thư Phượng Vỹ 1995) – (droite) Une ancienne élève (Hoàng Hương) en deuil de son Maître.

En bas: (gauche) Ses collègues et ses anciennes élèves de ĐK au cimetière (ĐK Mái trường xưa 1997) – (droite)  Sa femme et ses enfants (le surlendemain) (Quốc Học-Đồng Khánh, Xuân Ất Hợi 1995)

 

Six ans après son décès, loin du Vietnam, c’est avec du recul que je me suis aperçue de l’impact considérable de Maître Âu (à la fois mon père et mon Maître) sur mes pensées, mes réflexions, mes choix dans la vie et dans les recherches. Mon exposé de soutenance pour une thèse de doctorat soutenue à l’Université de Rouen (France) a débuté dans ces termes :

« La thèse que je présente et soutiens aujourd’hui s’intitule : ‘'Ces interactions qui ne vont pas de soi. Etude des gloses métacommunicationnelles sur la rencontre Français-Vietnamiens dans des romans et récits d’expression française.

L’origine du choix d’un tel sujet d’étude remonte à bien loin dans l’histoire de ma vie, et seule une machine à remonter le temps peut permettre d’en raviver les souvenirs et de mettre au clair les raisons les plus éloignées de ce choix. J’aimerais vous signaler ici deux aspects parmi les différentes motivations personnelles qui m’ont conduite à cette étude :

- Le premier aspect concerne l’expérience vécue de mon père, de son vivant. Les circonstances historiques de l’époque indochinoise ont amené mon père, comme beaucoup de ses compatriotes, à s’engager dans la lutte pour l’indépendance du Vietnam, et il s’est trouvé emprisonné par des troupes coloniales françaises. Son geôlier l’a surpris un jour en train de citer des vers de Verlaine, « Le ciel est, par-dessus le toit... ». Il a été aussitôt convoqué au bureau de la prison, où il s’est expliqué : il avait agi tout comme les Français vis-à-vis de leur patrie, face à l’occupation allemande. Sans pour cela nourrir une haine contre la culture et la poésie françaises. En effet, tous ses enfants, il leur a fait suivre des études dans des établissements français de l’époque, et, en tant qu’enseignant de français et de littérature française, il a fait aimer la langue de Voltaire à plusieurs générations de jeunes Vietnamiens. Il n’était pourtant pas le seul Vietnamien à adopter une telle attitude vis-à-vis des Français et de la culture française. Sans rien connaître des études qui abonderont plus tard sur la rencontre interculturelle, beaucoup de Vietnamiens de l’époque avaient un comportement qui me porte longuement à réflexion. Le bonheur et la rencontre semblent possibles dans le rapport à l’Autre et à la culture de l’Autre, malgré la guerre, et avec la guerre.

[…] »

Tout récemment, le 19 mars 2011, a eu lieu la réunion annuelle des anciennes élèves ĐK à Huế. J’y étais présente, en tant que membre de ĐKG et aussi parce que Madame Nguyễn Khoa Diệu Huyền, représentante de ĐKG à Huế, avait insisté. J’ai entendu, pendant la cérémonie, Monsieur Châu Trọng Ngô prendre parole au nom des anciens enseignants, et le nom de Maître Âu, entre autres, a été prononcé solennellement par lui… De même, dans les rangs, quelques anciennes ĐK se sont communiqué une photo de classe, celle qui faisait le “privilège” des anciennes élèves de Maître Âu, à l’époque.

Une “présence”, malgré tout, sans être là, après tant d’années…

 

 

Photo de classe de jadis

(Réunion annuelle d’anciennes de ĐK 2011)

 

 

Et pour ne pas en finir…

 

Si j’ai pu entretenir ce portrait riche en détails et en vécu de Maître Âu, c’est grâce à l’aide considérable de plusieurs personnes : Monsieur Lê Khắc Dòng, un ancien collègue de mon père, qui m’avait suggéré de participer au groupe ĐKG (Đồng Khánh Group) afin de pouvoir bénéficier des échanges entre anciennes élèves concernant leur Maître Âu, plusieurs des anciennes élèves du lycée-collège Đồng Khánh qui, non seulement se sont donné la peine de répondre au questionnaire d’enquête ou de me fournir des documents significatifs pour mon travail (photos de l’ancienne époque, récits ou poèmes, bulletins ou recueils publiés…), mais ont aussi essayé de transmettre par email mon message à d’autres personnes, ou ont imprimé et ont fait photocopier le questionnaire d’enquête pour le mettre à la disposition de plus de personnes. Je leur dois donc mes sincères remerciements. Mes remerciements vont de même à des anciens collègues de mon père (Messieurs Võ Đăng Nam, Lê Quân Thuỵ, Nguyễn Hứa Thảo et, tout particulièrement, Madame Nguyễn Thị Hạnh Phước), pour leurs encouragements et du renfort renouvelés à plusieurs reprises, des documents, photos… qu’ils ont au fur et à mesure mis à ma disposition. Sans oublier mes remerciements à Madame Thái Thị Ngọc Dư, ancienne élève aussi du lycée-collège Đồng Khánh, représentante de l’équipe de chercheurs universitaires français et vietnamiens, ceux qui ont eu l’initiative pour un “portrait” de Maître Âu.

Il m’est impossible, dans le cadre de ce texte, aussi condensé soit-il, de tout mentionner sur Maître Âu. Je formule donc pour cela mes excuses, mais aussi mon engagement pour une suite prochaine. Pour le moment, je profite de ce “rassemblement général” des anciennes élèves ici mentionnées pour essayer de leur servir, en quelque sorte, de "médiateur” et de “transmettre” à leur Maître des messages que certaines d’entre elles auraient aimé lui adresser, tel un bâton d’encens, sacré et magique, susceptible de joindre ce monde terrestre à l’au-delà :

« 1. Supposons que maintenant je peux rencontrer Maître et lui parler. Je lui demanderais pardon pour tout ce qui est arrivé quand il m’a grondé et que j’ai protesté. J’étais en désaccord avec presque tout ce qu’il disait, jusqu’au jour où, après les études, je suis devenue enseignante dans la même école que Maître. Je me suis mise alors en accord avec lui à presque 100% […]. 2. J’aimerais aussi lui dire qu’il a des enfants excellents que j’ai eu l’honneur de connaître ou que je connais, pas directement, mais de nom. » (Vương Thuý Nga) – « Je dirais : “Maître, je vous aime. Je vous remercie parce que vous m’avez fait aimer et choisir ce métier d’enseignant comme vous. À tout moment je m’efforce de suivre votre exemple pour aimer et me dévouer à mes élèves. » (Vương Thuý Loan) – « J’aimerais bien revoir Maître pour lui dire la profonde reconnaissance de mon cœur pour les peines qu’il s’est données pour m’enseigner et m’éduquer, ce que durant tant d’années passées je n’ai pas pu exprimer à temps. Et j’aimerais lui dire : oh Maître, nous vous aimons et nous vous respectons toujours. » (Mai Băng Thanh) – « Merci Maître de nous avoir enseigné et éduqués. » (Công Huyền Tôn Nữ Thu Quỳ) – « Maître, je regrette d’avoir été trop petite à l’époque pour savoir vous dire merci. » (Đoàn Phương Mai) – « Je dirais que je remercie beaucoup Maître. Parce qu’il nous a été un modèle éclatant, nous, des générations qui ont le grand bonheur de l’avoir eu comme professeur. Et que même s’il est parti pour un lieu éloigné, il restera toujours un modèle éclatant pour mes enfants, des enfants nés après la libération, pour comprendre et vivre dignes d’être citoyens du Vietnam. » (Nguyễn Thị Kiều Hạnh) – « Merci Maître d’avoir bien guidé vos élèves. » (Nguyễn Anh Phi) – « Je remercierais Maître de m’avoir donné des jours mémorables. Pour une élève étourdie, qui regardait à travers la fenêtre plus qu’elle ne prête attention à ce qui se passait dans la classe, j’ai gardé presque très peu de souvenirs des autres cours, mais je me rappelle surtout Maître. Je regrette de n’avoir pas eu l’occasion, pendant les années pénibles du pays, de l’aider un peu. Même si pour moi la vie à l’étranger était aussi dure, mais sans doute c’était beaucoup moins difficile que pour Maître. » (Đặng Ngọc Lệ Khánh) – « Je regrette de n’être pas venue vous rendre visite pendant les derniers jours de votre vie. Ce que vous m’avez enseigné, je continuerai de transmettre aux jeunes appartenant à des générations postérieures. Veuillez bien m’en excuser. » (Trương Thị Huệ) – « Supposons que je pourrais rejoindre Maître et lui parler. Je lui dirais alors : “Maître, votre départ a laissé un vide que rien ne peut combler. J’ai été triste pour cette perte, mais plus je vis, plus je m’aperçois que peut-être est-il bon que vous soyez parti ainsi, car alors vous n’auriez plus à témoigner des troubles, monopolisations, décadences dans tous les domaines de la société, même dans le domaine éducatif où vous avez semé des bourgeons à tant de générations. Si vous étiez encore en vie, vous seriez fort déçu et malheureux. Plus je vis, plus je réalise combien ce que vous m’avez enseigné est vrai, oh Maître, comme par exemple vous avez dit que la vie ne réserve pas la meilleure part à la personne la plus digne. Qu’il faut s’efforcer d’entrer par la porte étroite, car le chemin spacieux ne mènerait qu’au gaspillage et à la perte. Ainsi disait Gide, et vous me l’avez conseillé de même, mais sur dix personnes neuf déjà choisissent le chemin spacieux, oh Maître. Plus facile pour marcher, et aussi plus facile pour se mêler aux autres. Par la porte étroite, on doit bien se trouver isolé, seul. Mais c’est le sort que j’ai choisi, car j’ai voulu être moi-même, comme vous me l’avez conseillé autrefois. Soyez vous-même. » (Nguyễn Thị Thuý Loan) – « Je ne saurais que lui dire merci. Le sort a voulu que je parte pour la France, et c’est grâce à Maître que tout le monde dans ma belle famille me respectait (pour mes connaissances sur la littérature française). C’est pourquoi la première chose que j’ai faite en arrivant à Paris, c’est demander à visiter le Château de Combourg, y rester étendue sur la pelouse, regarder les nuages voler dans le ciel pour penser à Chateaubriand et bien sûr pour penser à Maître. J’ai envoyé des photos au Vietnam, il était extrêmement étonné. » (Hồng Hạnh Luguern)

 

 

    

 

Carte de vœux de Ngô Vũ Quỳnh Dung à Madame Phạm Kiêm Âu

(début 2001, plus de 6 ans après le décès de Maître Âu)

 

 

                                                                 

 

Achevé le 20 mai 2011 à Huế (Vietnam)

Phạm Thị Anh Nga


 

ANNEXES

 

Annexe 1:

Liste (non exhaustive) des récits, nouvelles, poèmes … publiés concernant Maître Âu …

 

 …dans l’ensemble du texte:

-          Hoàng Phủ Ngọc Tường, Điếu văn của môn sinh, Đồng Khánh Mái trường xưa, Kỷ niệm 80 năm thành lập trường, 1996.

-          Hoàng Phủ Ngọc Tường, Thầy tôi, báo Xuân Khuyến học và Dân Trí, 2005 & Lời tạ từ gửi một dòng sông, NXB Trẻ 2011.

-          Hồ Thị Nam Trân, Thầy tôi, Nội san Quốc Học-Đồng Khánh, Tập 2, NXB Đà Nẵng, 2000.

-          Lê Thị Hàn, Chi chi cũng tương đối, Lá Thư Phượng Vỹ, 1995

-          Nguyễn Hữu Thứ, Huế! “Tôi chọn nơi này làm quê hương!”, Lá Thư Phượng Vỹ, 1995.

-          Nguyễn Thị An Tâm, Khóc thầy, Đồng Khánh Mái trường xưa, Kỷ niệm 80 năm thành lập trường, 1996.

-          Nguyễn Thị Thu, Lời từ biệt, Đồng Khánh Mái trường xưa, Kỷ niệm 80 năm thành lập trường, 1996.

-          Phạm Thị Anh Nga, Mười lăm năm, thơ, Nhật Nguyệt Dấu Yêu, NXB Thuận Hoá 2010.

-          Phan Mộng Hoàn, Thầy Phạm Kiêm Âu, Quốc Học-Đồng Khánh, Đặc san Xuân Ất Hợi 1995 & Đồng Khánh Mái trường xưa, Kỷ niệm 80 năm thành lập trường, 1996.

-          Quế Hương, Khoảnh khắc bên ngưỡng lớp, Bài dự cuộc thi viết ngắn “Ơn Thầy”, Tuổi trẻ Chủ nhật, số 39-2002, ngày 6-10-2002.

-          Trần Lạc Thư, Con đom đóm nhỏ.

-          Trần Nguyên Vấn, Một lá thư đầy tình nghĩa, Đặc san kỷ niệm 105 năm Trường Quốc Học Huế (1896-2001), 2001

-          Vương Thuý Nga, Thư của Nga, Lá Thư Phượng Vỹ, 1995.

 

… en partie:

-          Hoàng Mộng, Thư từ Bắc Cali, Đồng Khánh Mái trường xưa, Kỷ niệm 80 năm thành lập trường, 1996.

-          Hoàng Phủ Ngọc Phan, Hai đoá hoa quỳnh, Tuyển tập Áo Trắng.

-          Lê Bá Vận, Thầy Âu, Thầy Thứ, Lá Thư Phượng Vỹ 2008.

-          Minh Lệ, Nhớ các Thầy Cô, thơ, Một thời Đồng Khánh, Kỷ yếu của các lớp 1951-1957, 2007.

-          Ngô Thị Ấn, Thương nhớ Thầy Cô, Một thời Đồng Khánh, Kỷ yếu của các lớp 1951-1957, 2007.

-          Ngô Vũ Quỳnh Dung, Ơn thầy, nghĩa bạn, Nội san Quốc Học-Đồng Khánh, Tập 2, NXB Đà Nẵng, 2000.

-          Nguyễn Thị An Tâm, Ơn thầy, Đồng Khánh Mái trường xưa, Đặc san kỷ niệm 77 năm thành lập trường, 1994.

-          Quỳnh Anh, Đằng sau một số phận, Một thời Đồng Khánh, Kỷ yếu của các lớp 1951-1957, 2007.

-          Trần Thị Mỹ Nhật, Thầy…, Quốc Học-Đồng Khánh, Đặc san Xuân Ất Hợi 1995.

-          Trần Thuỳ Mai, Ngày xưa Đồng Khánh, Đồng Khánh Mái trường xưa, Kỷ niệm 80 năm thành lập trường, 1996.

-          Vương Thuý Nga, Trong ký ức mù sương, Một thời Đồng Khánh, Kỷ yếu của các lớp 1951-1957, 2007.


Annexe 2:

 

Quelques textes récemment conçus concernant Maître Âu:

 

 

(1) Nguyễn Thanh Trí

 

    Đôi nét về thầy Phạm Kiêm Âu

 

                 

 

Thầy Phạm Kiêm Âu 1954                                                Thầy Phạm Kiêm Âu 1990 qua nét bút Thanh Trí

 

Hôm nay nhận được email của em Phạm Anh Nga (ái nữ của thầy Phạm Kiêm Âu), em có ý muốn nhờ chúng tôi ghi lai hình ảnh Thầy Phạm Kiêm Âu  trong ký ức của chúng tôi, học trò cũ của thầy. Người thầy mà tôi rất kính, rất thương và cũng rất sợ, mặc dù thầy chỉ dạy tôi môn toán năm Đệ Tứ. Bạn học cùng lớp với tôi năm đó, lên Đệ Tam, Đệ Nhị học với thầy môn Pháp văn, Toán, Lý và Hóa, sẽ viết rất đầy đủ chi tiết những đức tính của nhà mô phạm Phạm Kiêm Âu thầy tôi.

 

Riêng tôi, xin kể lại một chuyện, tạm lấy đầu đề là "Già cười tươi khóc" vì tôi vừa cười lại vừa khóc, đã xảy ra chớp nhoáng trong lớp Đệ Tứ B1. Hình ảnh thầy còn rõ mồn một trong ký ức, như mới ngày nào thôi. Thế mà nhẩm tính đã hơn nữa thế kỷ 56 hay 57 năm trôi qua.

                                                 

Tôi còn nhớ ngày ấy, nữ sinh các lớp từ Đệ Tứ B1 đến Đệ Tứ B4 mỗi sáng, mỗi chiều đều sắp hàng ngay thẳng ngoài hiên lớp học. Nghe trống điểm thùng ba tiếng, mới bước vào lớp. Vào chỗ ngồi yên, lấy sách vở môn mình sẽ học để trên bàn, im lặng đợi thầy cô giáo đến, đứng dậy chào, thầy cô giáo cho phép ngồi, mới được ngồi. Người bạn ngồi  bàn đầu gần cửa lớn ra vào là Lê thị Phương Lan, học giỏi, giỏi nhất là môn toán, rất chăm chỉ. Vào lớp là cặm cụi ôn bài, đôi lúc quên cả đang ngồi trong lớp, quên cả hai cái giò đang duỗi thẳng ra đằng trước khỏi bàn. Tôi cũng đã bị một lần vấp phải xém té, xém bắt ếch trước lớp, trước mặt các bạn thật là dị!!!

 

Lần này người vấp phải cái chân duỗi ra ấy lại là thầy Phạm Kiêm Âu. Tiếng cười rộ lên từ các bàn phía trên trong đó có tôi. Nhưng rồi chúng tôi im phăng phắc ngay, vì nhìn thấy thầy giận đỏ cả mặt mày, còn Lan sợ tái xanh. Trong lòng mỗi chúng tôi đều thầm nghĩ: thầy thường đi rất nhanh, bước vào lớp quá nhẹ nhàng, nên Lan không kịp thu lại cái giò để đứng dậy chào thầy mới nên nông nỗi này! May thay, thầy không té, chi hơi chao đảo vài bước như người say thôi.

 

Một thoáng trôi qua. Thầy bước lên bục, miệng không mỉm cười như thường ngày. Đôi mắt trong sáng sau lớp kính cận thị, nghiêm khắc nhìn khắp lớp học. Rồi thầy gọi Lan và bảo "con gái phải có ý tứ, lần sau không được ngồi  duỗi thẳng chân ra đằng trước như vậy nữa", có lẽ thấy Lan sợ, thầy thương cảm mà không nỡ lòng la nhiều hay phạt. Nhưng thầy lại nhìn qua hướng tôi và gọi “Thanh Trí đứng lại bị phạt vì tội cười". Rồi thầy cho cả lớp ngồi xuông, mở vở ra chép bài. Vài bạn ngồi bàn trước ngạc nhiên quay lại nhìn, thì quả thực Thanh Trí đang cố ngậm miệng để giấu đi cái cười còn dai dẳng chưa muốn rời khuôn mặt ...(nghịch thầm)!!!

 

Sau một hồi bị phạt đứng thẳng tại chỗ, tôi đã hết cười, nhưng đôi mắt bắt đầu giọt ngắn, giọt dài. Bỗng thầy nhìn xuống thấy tôi khóc, thầy cho ngồi. Và thầy phán một câu: "con gái mà ... mà ... mà cái gì cũng cười, bị phạt cũng cười thật là … là ... là ...", rồi thầy quay lên bảng viết tiếp. Tôi mừng húm, biết thầy đã hết giận, và thầm cám ơn thầy. Thầy đã mà...mà..., là...là... rồi thầy bỏ lửng lơ câu nói có ý tha cho mấy chữ "vô duyên hay già cười tươi khóc" như mẹ thường hay la, mỗi khi tôi cười giòn mà các chị thì không ai dám cười lớn. Thật tình mà xét xử thì oan cho tôi lắm, chỉ vì cái tánh hay cười, cười rồi khó ngưng lại được như các bạn. Như Thu Sương ngồi cạnh tôi có biệt tài kể chuyện rất có duyên … ai nghe cũng phải cười, nhưng mặt Sương tỉnh bơ, Sương lại biết tánh tôi hay cười, thế là... nhất quỷ nhì ma, có một hôm cô giáo vào lớp trễ, Sương kể nho nhỏ bên tai tôi chuyện gì đó, tôi bật cười ha ha … tôi bị trưởng lớp ghi vào sổ “Thanh Tri làm ồn”! oan ơi là oan mà không sao thanh minh thanh nga dược !

 

Những năm sau đó, tôi không còn gặp được thầy Phạm Kiêm Âu cũng không còn gặp bạn. Tôi đã xa trường vào Nam học, rồi về học Cao Đẳng Mỹ Thuât Huế. Tốt nghiệp xong, lai tiếp tục học khoa Sư Phạm Hội Họa tại Cao Đẳng Mỹ Thuật Sài Gòn. Tốt nghiệp khoa này, tôi đi lấy chồng, vào Nha Trang dạy. Rồi biển đổi sao dời... Năm 1975 tôi vào Sài Gòn dạy tiếp. Thời điểm này cũng là lúc tôi trở lại với Hội Họa, với Nghệ Thuật duyên nghiêp của tôi. Cuộc đời vẫn tiếp tục nổi trôi theo vận nước, vận nhà, tôi qua Thái Lan đến Phi Luât Tân vào Bataan, năm 1987 đến định cư tại Mỹ. Nhưng dù ở nơi mô tôi cũng nhớ chuyện xảy ra ngày xưa ấy, để rồi ... nhớ thầy, nhớ bạn, nhớ nụ cười thơ ngây vô tội hay vô tình của tôi của một thời son trẻ ít nhiều đã làm buồn lòng Thầy tôi! Và tôi không khỏi nở nụ cười giòn trên môi để thầm xin thầy tha lỗi.

 

Ôi, bao hình ảnh thân thương của quí thầy cô đã dạy dỗ, dìu dắt chúng tôi không những về văn hóa mà còn về đạo đức, từ thuở thơ ấu đến tuổi trưởng thành. Cho chúng tôi một hành trang quí giá trên đường đời. Qui thầy cô là gương sáng cho tôi soi bóng trong suốt 24 năm đi dạy. Ôi, bao kỷ niệm của một thời trên ghế nhà trường còn đậm nét trong tâm hồn tôi. Giờ đây thầy Phạm Kiêm Âu cũng như một số quí thầy cô khác đã về cõi vĩnh hằng. Tôi xin thành kính đốt nén hương lòng nguyện cầu hương linh quí thầy cô viễn du Tiên Cảnh.

 

Thanh Trí, Sacramento,CA- USA 3/22/2010

http://www.art2all.net/tranh/thanhtri/thanhtri.html


(2) Nguyễn Anh Phi

 

 

 

Reng reng reng

 

 

Giờ học đến rồi

Hãy chạy mau lên 

Thầy đang đi trước

Bước sau nửa bước

Thầy cũng không cho

Vòng vo kiếm kế

Xô ngã xe Thầy

Để Thầy loay hoay

Dựng ngay xe lại

Chúng em thoát nạn

Vừa thở vừa cười

Ôi đẹp làm sao

Cái tuổi học trò

Với Thầy kính yêu

Đong đầy kỷ niệm...

 

 

 

 

 

                                                         


(3) Nguyễn Thị Hoà

 

Trường Xưa Phượng Đỏ 
- Lớp Đệ Nhất A1

(trích đoạn)

 

...Môn Pháp văn tôi học thầy Phạm Kiêm Âu. Thầy Âu có phương pháp lưu trữ tư liệu về học trò cũ rất độc đáo. Học trò đã ra trường mấy chục năm trở về vẫn còn dấu tích thầy đang cất giữ. Đầu năm thầy xin mỗi đứa một tấm ảnh 4 × 6 và yêu cầu điền một phiếu điều tra về lý lịch, sở thích và nguyện vọng cá nhân, trong năm học ai có điều gì đặc biệt thầy đều ghi chép và lưu lại. Năm 1982 tôi viết một lá thư thăm thầy và thầy đã hồi âm cho tôi một lá thư dài 12 trang giấy viết tay. Đọc thư thầy tôi xúc động thấy lại một thời tuổi nhỏ, tôi và bạn bè cả lớp qua ghi chép tỉ mỉ của thầy, không thiếu một ai:

   “Cô học tôi năm 1970 – 1971, ngồi bàn đầu phía lối đi, bên tay phải. Cô ghi thích văn Nguyễn thị Hoàng nhạc Trịnh Công Sơn. Ý thích: ngồi một mình trong phòng và không nói không làm gì cả. Nếu có thể thì thành một bác sĩ, nhưng có lẽ chỉ là mơ! Đệ nhất lục cá nguyệt thầy phê: Giỏi Chăm Cố gắng.” Đê nhị lục cá nguyêt thầy phê: Giỏi – Chăm – Cố gắng. Cô miệng mồm lanh lắm, đáng lẽ thành luật sư mới đúng. (Bởi một lần thầy giận lớp không dạy, tôi thay mặt lớp xin lỗi và năn nỉ hết lời, vả lại tôi là đứa sơ mi Triết của lớp mà!).”

  Đây là tư  liệu của các bạn tôi trong sổ, thầy chép lại vào thư:

“ Diệu Ái: Đầu hàng lại để ;

“ Minh Chi: Sáng 3/4/71 cùng với Thí dùng một cây viết . Thầy rầy, hỏi ra mới biết là viết của Diệu Hương

“ Bích Huê: Sáng 16/5/71: Béo , ngồi chịu đựng lâu không thấu gục cằm lên bàn.

“ Ngày 3/4/71 Viết La dame n’est pas l’home (dĩ nhiên rồi) .

“ Thanh Hương trong bài có vẽ thêm  O  để chơi, thầy trừ 1 điểm.

“ Minh Mão: 12/11/70 Viết Répondez. Nhờ thầy đừng gởi thư về mét.

“ Thuý Nga: 22 /12/70 thi, bạn nhắc: elle se dit bèn viết est ce dit.

“ Quảng: 22/12/70 làm analyse logique câu khác câu gs cho.

“ Nguyễn Thị Thanh: 29/12/70 nói với gs: Thầy giả vờ cho nghỉ một bữa. Ngày 6/4/71 giờ SV thực tập trò cắm lên tóc hoa hồng ( màu vàng) thật đẹp.

“ Hồ thị Thạnh: Đi lờ đờ suýt bị gs tung xe.

“ Mỹ Thiện: 9/3/71 Ghi lý do dài dòng thầy trừ 1 điểm.

“ Đỗ Thị Thí: 15/5/71: Trò nói xàm mãi. Gs hỏi: Thí điên hử? Trò đáp: Nắng quá, nắng quá! Nên điên!

“ Trương Thị Mỹ: Hứa cho thầy một con mèo con.

“ Đặng thị Thương: 9/1/71. Đang nói đúng, thấy gs nhìn, trò khựng lại, nói tại gs nhìn. Theo trò thà mất lòng thầy hơn là mất lòng bạn...”

 Tôi nhìn lá thư giấy đã ngả màu vàng ố, di bút của thầy còn đây nhưng đâu còn thầy nữa! Tôi vẫn còn nhớ câu cửa miệng của thầy “Quên vẹc (verbe ) thầy quẹt" và nghe chừng như vẫn văng vẳng đâu đây giọng thầy đang dịch Eugénie Grandet, vẫn thấy như mới năm trước, tháng trước đây dáng thầy cao lớn xách cái cặp to đùng bước vào lớp. Trong cái cặp ấy là cả cửa hàng bách hoá, không thiếu thứ gì cho một người cẩn thận khi ra khỏi nhà!...

 



[1] Université HOA SEN (HCM Ville), Projet VALOFRASE, Département de Français de l’UP de HCM Ville, INALCO (Paris)

[2] Par allusion à des “zéros” dans la notation que craignaient tant les élèves de l’époque.

[3] « Thầy tôi » de Hồ Thị Nam Trân, publié dans plusieurs bulletins et recueils, et mis en ligne sur différents sites.

[4] équivalente à la classe de quatrième du collège français.

[5] En 1973 : Une de ses anciennes élèves (Thu Quỳ) me l’a rappelé (alors que j’avoue n’en avoir aucune idée).

[6] “[…].Nguyên binh tự phong vũ / Tức Mặc kim âu thương […] (L’armée des Nguyên telle un ouragan survint / L’écluse Tức Mặc se trouva lésée).

[7] Selon http://vi.wikipedia.org/wiki/Chi%C3%AAu_D%C6%B0%C6%A1ng_m%E1%BB%99_b%E1%BA%A1c

[8] Thanh Niên Xung phong

[9] Monsieur Phạm Văn Bạch continuait encore à être dirigeant du Mouvement à Saigon.

[10] tầm vông vạt nhọn’, armes rustiques fréquemment utilisées par les Jeunes Volontaires de l’époque

[11] Extraits de la lettre écrite le 6 septembre1988 par Maître Âu à l’un de ses gendres, Bửu Nam.

[12] De son vivant, Maître Âu n’a jamais adhéré à aucun des partis politiques.