Parole d'artiste
Où suis-je ?
encerclée de murs aveugles
assiégée de solitude menaçante
Rire à se déchirer les entrailles
et se réjouir à travers les larmes
dans l'espace immense et frissonnant
Où aller ?
parmi mille et mille sentiers battus, usés
où les traces de godilles
écrasent les herbes flétries, éparses
où les rues s'entassent sur les rues
où les villages, les hameaux s'entrecroisent
dans cet univers qui s'effiloche d'heure en heure
pour renaître aussitôt
Dix mille ans déjà, bonheur et malheur submergent le monde
et les illusions s'effondrent dans le silence
et l'espoir, toujours, fuse sur la crête des vagues
là-bas où une voile tangue au pied des nuages
Dix mille ans déjà, la terre toujours en rond tourne
et les humains aimants-haineux-menteurs
et le bonheur comme une chemise fripée, une demeure délabrée
le bonheur vierge, pur, éblouissant feu solaire
Et les humains, toujours pareils
en leurs mensonges
leurs sincérités
Des sourires de perles
des sourires de serpents
peuplent toujours le siècle des robots, de l'atome et du confort
Et toujours cette angoisse lugubre des temps barbares
Je suis née dans un monde vieux, délabré
où rien de neuf, rien d'étrange ne naît sous le soleil
Mais je le jure
du fond de mon cœur
par le sable brûlant
par l'eau limpide
par la pierre
par les traits fanés, disloqués des visages humains
par ma solitude intense, magnifique
par les cendres de la douleur
sur les cadavres des illusions
un jour tant que je vivrai
l'herbe au bord du chemin reverdira
la montagne redressera la tête appelant l'avenir
et la mer majestueuse, passionnée, enfantera la tempête
Et mon âme claquera tel un grand vent
balayant les nuages aux flancs des collines
les vapeurs vénéneuses sur les lacs, les étangs pourris
J'incendierai mon cerveau
pour faire bouillir le sang des humains
dont chaque goutte roulera comme un soleil
des profondeurs de la jungle primitive
à l'infini de tous les horizons
Non, plus jamais le silence pour abri
Non, plus jamais la tête courbée sous la douleur
Non, plus jamais la solitude, le délaissement
Je serai le chant antique de nos berceuses
le tendre murmure des feuilles
traversant les jungles glacées
et les loups rassasiés de malheurs
retrouveront leur fragilité d'antan
et les cœurs haineux, amers, impitoyables
dans le vin de la douleur
trembleront, angoissés,
des premiers frissons de la vie
Puis je m'éteindrai dans la nuit
comme une bougie dans sa flamme
et je dormirai, paisible, sous les feuilles pourries
la chair décomposée, de toute mon âme encore j'appellerai
à reverdir le monde.
Dương Thu Hương
fin des années 80
Traduit du vietnamien par Phan Huy Duong